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la lanterne de diogène
22 février 2011

Questions libyennes

Depuis le début des émeutes en Cyrénaïque, le colonel Kadhafi est traité de tous les noms. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, on déroulait le tapis rouge à Orly pour sa descente d'avion, on admirait les belles et farouches amazones de sa garde présidentielle. On effaçait une ardoise couverte de lettres de sang. Il y a un peu plus longtemps, ces insultes et les simples critiques à l'endroit de Kadhafi et de son régime déchainaient l'opprobre contre leurs auteurs. Il était convenable de considérer celui qu'on ne nomme plus que « le dictateur » comme un révolutionnaire. Par un curieux glissement, lui dont on savait qu'il était inspiré par le Coran posé en permanence sur son bureau passait pour un révolutionnaire. Curieuse alliance de la religion et de la révolution. Le raisonnement venait de loin. Les pays qui avaient conquis leur indépendance de haute lutte et les groupes – souvent des militaires formés dans les anciennes puissances coloniales – qui avaient destitué les premiers monarques étaient, par définition, révolutionnaires. En France, par tradition, on aime bien la révolution. Peu importait si le régime en place était autocratique, militaire ou théocratique comme en Libye : on ne voulait voir que le processus qui avait conduit au renversement de régimes autocratiques qui entretenaient de bonnes relations avec les anciennes puissances coloniales. C'était tiré par les cheveux, mais c'est le propre  du totalitarisme : une phraséologie détournée de son sens pour tromper le peuple. Le peuple, justement, a souvent accompagné le processus qualifié de révolutionnaire avant de s'en voir dépossédé. En Libye, cette rhétorique atteignait une sorte de paroxysme puisque, officiellement, le peuple exerce directement le pouvoir, qu'il n'y a pas de chef d'État mais seulement un « guide de la révolution » ; un simple coordinateur, donc. 

Le diplomate iranien Fereydoun Hoveyda qualifiait Kadhafi de « dirigeant le plus sincère du monde arabe ». Il l'est sans doute et son engagement en faveur de mouvements révolutionnaires, terroristes, indépendantistes ou autres ne souffre aucun doute. Simplement, on notera qu'il promettait plus qu'il ne tenait. L'OLP attend toujours un sous-marin. Heureusement, Yasser Arafat avait appris à ne compter que sur lui-même. Comme il disait « avec des amis comme nous en avons, nous n'avons pas besoin d'ennemis ». En attendant, le seul  résultat de ce soutien à la cause palestinienne valait à la Jamhiriya libyenne la bienveillance des intellectuels d'ici. En Afrique noire, Kadhafi était actif également et pas seulement pour accaparer les terres minières limitrophes. Il voyageait. Il proposait des alliances. Il promettait – encore – des aides pour la constructions d'hôpitaux, d'écoles, d'universités, de mosquées. Heureusement, les Africains qui, rappelons-le, sont très bien informés, n'étaient pas dupes non plus et riaient de ces beaux discours.

Le bilan de la « révolution » libyenne n'est pas brillant. On ose le dire depuis quelques jours. Pourtant, avec la rente du pétrole et une faible population, la Libye (tout comme le Gabon) pourrait vivre dans l'opulence à la manière des monarchies pétrolières. Il n'en est rien, loin s'en faut. Pourtant, ces dernières années, on feignait de voir le pays tourner une page, entrer dans la modernité. C'est que l'Europe a besoin de pétrole et la Libye en possède. Il n'est plus possible de dissimuler les immenses besoins en pétrole avec des déclarations selon lesquelles les réserves n'ont jamais été aussi abondantes. Là encore, un esprit dubitatif s'étonnera que plus on en consomme, plus il y en a. Pourtant, ce n'est pas une énergie renouvelable. N'a-ton pas dit que le totalitarisme se caractérise par une phraséologie détournée de son sens ? Il y a de quoi s'inquiéter surtout quand la perspective du manque de pétrole fait conclure des contrats avec un personnage comme Kadhafi. Il est vrai qu'on ne savait pas que c'était un dictateur depuis 1969.

Pour avoir son pétrole, on ne recule devant rien. Ainsi, la France, à la pointe de la technologie nucléaire, s'est engagée à construire en Libye une centrale atomique pour déssaliniser l'eau de mer. On ne voit pas le rapport mais on a besoin de pétrole. Et puis, on nous garantit qu'il s'agit d'une technologie nucléaire civile. Il n'est un secret pour personne que n'importe quelle centrale atomique peut se transformer rapidement pour produire des bombes tout comme n'importe quelle industrie pharmaceutique et même n'importe quelle brasserie peut fabriquer rapidement des armes chimiques. Mais, comme on a besoin urgemment de son pétrole, on n'a pas peur de Kadhafi même à la tête d'une centrale atomique. Puisque on nous jure que c'est pour avoir de l'eau douce qui plus est...

En attendant, les commentateurs nagent en plein délire. Ça rappelle un peu ce qui se passait lors de la première guerre contre l'Irak. On entend tout et son contraire, parfois dans la même phrase et avec le même aplomb. La vie des émeutiers qui se font trucider n'est plus qu'un sujet de chronique. En fait, des phrases, entendues par-ci, par-là, rappellent plutôt les événements de la place Tian'an men. On nous disait aussi : « les gens n'ont plus peur », « le pouvoir ne peut plus employer la force », « rien ne sera plus comme avant ».

Que peuvent des manifestants qui n'ont que leur voix et leur courage face à des armes ?

Les chars, les hélicoptères de combat sont mobilisés contre des piétons. N'importe qui peut comprendre que la combat est inégal. Le déploiement de force se doit de dissuader de manifester. Comme, on peut craindre que les militaires ne lèvent la crosse comme en Égypte, Kadhafi fait appel à des mercenaires (comme les talibans autrefois).

On connait la suite du « printemps de Pékin » et de sa statuette de la Liberté. Le manifestant qui a arrêté le char a été emmené par les fantassins et nul ne sait ce qu'il est devenu. Ça fait une belle image romantique pour faire oublier que l'Occident a laissé tomber les insurgés de la place Tian'an Men. On achète sans vergogne l'électroménager, les chaussures de sport, les slips, les téléphones, les ordinateurs et mêmes les haricots et les asperges à la « République populaire ». Les Tibétains et les Ouïgours peuvent bien manifester, ils ne pèsent pas lourd face à nos besoins d'appareils bon marché qui exonèrent le patronat d'augmenter les salaires ici. De même, les personnes qui descendent dans la rue et les tribus cyrénéennes qui se soulèvent ne pèseront pas lourd face à nos besoins en pétrole.

On rappelle opportunément les propos de madame Rama Yade, évincée du gouvernement où elle était Secrétaire d'État, peu après la visite en France de Kadhafi : [cette visite] "coïncide avec la Journée mondiale des droits de l'Homme. Le choix de cette date est un symbole fort, je dirais même scandaleusement fort". "Notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort".

Il faut croire que si.

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