Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
28 mai 2011

Insécurité

 

L'insécurité est un thème récurrent, rebattu depuis des lustres par les hommes politiques. Ainsi, il y a belle lurette, le bulletin municipal de la Ville de Paris, dirigée alors par l'équipe Chirac-Tibéri, publiait une brève : « La municipalité s'oppose à l'extension des entrepôts de Montrouge du métro en raison des problèmes de sécurité qu'elle entrainerait ». On se demande quel rapport il y avait. Au plus, ça aurait procuré une gène pour les riverains pendant la durée des travaux mais il n'y avait aucun risque pour la sécurité de la population.

 

On sait que la campagne présidentielle de 2002 s'est jouée sur le thème de la sécurité : les uns l'amplifiant, les autres la niant. Depuis, ces derniers essaient de s'y intéresser car la population s'est émue de n'avoir pas été entendue.

 

Pourtant, il est un domaine où rien n'y fait. Le nombre de morts, de blessés, d'estropiés à vie n'impressionne personne. Ce domaine, c'est la sécurité routière.

On se trompe en pensant que cette indifférence se résume à l'adage selon lequel ça n'arrive qu'aux autres. En fait, le raisonnement revient à dire qu'on fait attention soi-même mais que ce sont les autres qui sont imprudents. Sûr de son fait, on s'autorise toutes les entorses au règlement. Car, curieusement, sur la route, tout le monde est convaincu qu'on a le droit d'enfreindre la loi. Dans aucun autre domaine le sentiment selon lequel on peut se permettre de ne pas respecter le code réglementaire n'est aussi répandu.

 

Au volant, on s'autorise toutes les infractions. On stationne là où c'est interdit sans penser que ça gène autrui. On lâche le volant alors qu'on avance pour fumer et pour téléphoner ou chercher quelque chose dans le véhicule. On se permet de rouler vite alors que d'autres usages se trouvent à proximité (piétons, cyclistes et autres automobilistes). Il ne viendrait à l'idée d'aucun joueur de jeu électronique de lâcher ses deux manettes pour fumer ou téléphoner. Il ne viendrait à l'idée de personne d'aller faire un hold-up dans une banque et de se justifier en disant qu'on à peine volé 5 000 €. Pourtant, sur la route, on s'autorise le dépassement de la vitesse autorisée. On s'arroge le droit de traverser un village à 80 km/h sans penser qu'un enfant peut courir après un ballon et traverser la rue sans regarder. On s'arroge le droit de rouler à 120 à l'heure sur une route sans penser qu'un usager local, persuadé qu'il est « chez lui », sortira d'un chemin local ou de sa maison sans faire attention puisqu'il est « chez lui ». On rechigne à porter la ceinture de sécurité mais on admire les pilotes professionnels qui portent deux harnais.

 

Maintenant, on s'insurge (c'est à la mode) contre les radars qui dénoncent les excès de vitesse. Les plus en colère sont ceux qui roulent le plus : routiers, ambulanciers et VRP. Comme ils font 50 000 km par an, ils considèrent que la loi ne devrait pas s'appliquer à eux. Reprenons l'exemple de la banque et imaginons que les gangsters réclament le droit de ne pas sanctionnés puisque c'est comme ça qu'ils gagnent leur vie.

 

Ces gens qui disposent de moyens de pression savent parfaitement comment rallier ceux qui ne sont pas concernés à leur cause. L'idée consiste à faire croire que c'est une pompe à fric et que c'est au profit de l'État. En période d'ultralibéralisme, l'État est encore plus mal vu qu'avant. L'idée que l'État puisse prélever l'argent des amendes paraît intolérable. En fait, ce sont les collectivités locales qui en bénéficient mais c'est égal. À partir de là, l'idée qu'on sanctionne les contrevenants paraît comme une injustice ; ce qui est un comble.

 

 

Dans les autres domaines, la moindre victime pose question. Ainsi, tous les ans, on s'émeut que des personnes aient trouvé la mort en montagne : alpiniste qui a dévissé, marcheur qui a glissé, skieur qui a dérapé etc. « La montagne a encore tué ! », « Ce sont des imprudents ! », « Et c'est nous qui payons les secours, y en marre ! ». La route tue chaque semaine. Il s'en trouve toujours pour accuser le mauvais état de la chaussée mais personne ne trouve à redire sur l'intervention des secours. Sur la route, comme à l'ouest du Pecos, on peut tout se permettre : il n'y a plus de loi. Ou plutôt, il y en a une mais on trouve ridicule de la respecter et un vrai automobiliste se doit de l'enfreindre. D'ailleurs, le vrai automobiliste aura à cœur de montrer à ses passagers comment il sait conduire en infraction sans se faire prendre.

 

 

Comment en est-on arrivé à une telle inversion des valeurs ? L'automobile depuis l'après-guerre a pris une place majeure dans la vie. Le permis de conduire représente réellement le passage de l'enfance à l'age adulte. Le droit de vote dont les jeunes se fichent et le baccalauréat (car tous les jeunes n'étudient pas) ne remplissent pas cette fonction. Les jeunes voient surtout dans le droit de conduire une voiture la possibilité de se déplacer avec son amoureux ou d'aller en chercher. Les parents anticipent longtemps à l'avance le coût du permis de conduire et s'y préparent. Ils se montrent beaucoup moins vigilants quant à la réussite scolaire. Il est vrai qu'elle n'assure plus la réussite de la vie. L'opinion publique tolère largement les accidents de la circulation y compris les plus graves. Nous avons tous eu connaissance de quelqu'un qui a perdu la vie ou l'usage d'une partie du corps. Pourtant, cela ne refroidit pas. Les morts sur la route font penser à cette séquence du film « Himalaya : L'Enfance d'un chef » quand le caravanier accepte de perdre deux yacks comme tribut à payer aux démons de la route. Nous acceptons de perdre des milliers de morts, chaque année, pour pouvoir continuer à rouler, sans compter les blessés et estropiés à vie.

 

Le chroniqueur Guillaume Erner faisait remarquer http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/souriez-vous-etes-informes/index.php?id=105250

 

qu'on pourrait, tant qu'on y est, supprimer aussi les feux rouges pour dissuader les piétons de traverser et laisser les automobilistes rouler sans contrainte puisque la contrainte au volant semble à ce point intolérable.

 

Les vendeurs de détecteurs de radars sont les principaux bénéficiaires des mesures d'assouplissement. Ils ont fait valoir leurs arguments. Selon eux, leurs appareils améliorent la sécurité. Ils ne font qu'indiquer les zones de limitation de vitesse. Finalement, on se demande pourquoi tous les véhicules n'en sont pas équipés. Ils insistent sur ce point : l'appareil signale les zones dangereuses. Par « zones dangereuses », il faut comprendre les zones où il est recommandé de ralentir à l'approche du radar qui est signalé aussi. Il ne s'agirait pas de freiner brusquement, n'est-ce pas ? Ils font penser aux amateurs de corridas qui défendent leur loisir en invoquant leur amour des taureaux. Encore une fois, imaginons des cambrioleurs équipés d'appareils qui leur indique quand les policiers arrivent (s'ils arrivent) ou quand les propriétaires rentrent.

 

De plus, quand on voit les prix des détecteurs de radar, on comprend que les principaux contrevenants, ceux qui dépassent largement les limites grâce à leurs puissantes voitures et qui le font le plus souvent, échapperont aux sanctions tandis que le conducteur moyen se fera coincer pour un dépassement occasionnel et léger faute de disposer du budget suffisant. « Selon que vous serez puissants ou misérables... »

 

Bien sûr, des considérations d'ordre politique se greffent sur le sujet. Comme c'est le gouvernement nommé par le Président Sarkozy qui prend cette décision, on va s'insurger contre le durcissement des mesures de sécurité routières. Quand on est dans l'opposition, on est contre, un point c'est tout ! Pourtant, la grogne vient de la droite où les élus, déjà fragilisés pas l'impopularité du gouvernement, donne raison à tous ceux qui clament leur intention de braver la loi. Là encore, c'est le seul domaine où ces élus se montrent à l'écoute de la population et le fait savoir en haut lieu. Pour le reste, on prie la population de patienter. Concernant les infractions routières, on monte au créneau. Habituellement, quand un homme politique fait mine d'être à l'écoute du peuple, on le traite de « populiste ». Ici, on dit juste qu'il a raison. Les élus de gauche se montrent curieusement silencieux sur le sujet.

 

Maintenant, il est évident que la maréchaussée devrait faire montre de souplesse vis à vis des infractions. Tout ne se vaut pas. Il ne s'agit pas d'approuver ceux qui affirment qu'avec une grosse cylindrée lancée à toute vitesse on est moins dangereux qu'avec une petite berline qui circule tranquillement. C'est là une approche par classe tout à fait contraire à l'idée de démocratie et qui n'a rien à voir avec la sécurité. En revanche, on conviendra que beaucoup de panneaux de limitation sont mal placés. On conviendra aussi qu'après des dizaines de kilomètres de route sinueuse ou dangereuse, des zones sécurisées limitées à 90 apparaissent comme de la provocation pour ceux qui effectuent de grandes distances. Surtout, on conviendra qu'il est beaucoup plus grave de traverser une agglomération peuplée à 60 km/h que de rouler à 180 km/h sur l'autoroute. On conviendra aussi que le franchissement de la ligne blanche peut être mortel dans les cas de dépassement mais anodins s'il n'y a personne et qu'on doive passer. On admettra que la nuit, sur route déserte, ou le dimanche quand il n'y a pas d'école, la limitation de vitesse ne se justifie plus. Il y a la loi et l'esprit de la loi. Le respect tatillon de la lettre entretient le mécontentement et l'on finit par tout mélanger. Malheureusement, dans un pays comme la France, il n'y a que la sanction qui fonctionne. L'appel au civisme voire au simple bon sens est ridiculisé. Il n'est que d'aborder une question sur la circulation routière. La réaction de l'interlocuteur fera référence au risque de se faire prendre par un radar ou un policier. Elle ne concernera jamais le risque d'accident. La route constitue bien une zone de non-droit. On en paie pas pour utiliser la chaussée alors qu'on paie pour rouler sur des rails des voies navigables et même pour utiliser l'air. Ensuite, il est stupéfiant d'entendre ceux qui roulent le plus réclamer que le code de la route ne s'applique pas pour eux. On entend les contrevenants mettre en avant qu'ils ont besoin de leur voiture pour travailler. Est-ce à dire qu'ils ont aussi besoin d'enfreindre la loi pour travailler ? On trouve presque normal que les chauffards à qui l'on a retiré le permis continuent de rouler. Imagine-t-on un chirurgien radié de l'ordre qui continuerait à opérer ?

 

Le gouvernement a trouvé la parade pour masquer son dégonflement : il appelle ça la « pédagogie ». Imaginons encore une fois qu'on dise aux voleurs : vous savez, c'est pas bien de voler. Ils répondraient comme les automobilistes : vous voyez, je n'ai volé que quelques centaines d'euros et les bijoux qui se trouvaient sur la tablette au dessus du lavabo. De toute évidence, non seulement la route est un domaine de non-droit mais encore un domaine où le bon sens et l'honnêteté sont absents.

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 721
Newsletter
Publicité