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la lanterne de diogène
29 août 2011

Nouveaux médecins-zin-zins

 

Qu'il me soit permis de parler un peu de moi. Jusqu'à présent, j'avais surtout évoqué la situation internationale, l'environnement, l'inculture. J'avais poussé des coups de gueule et partagé quelques belles choses ici. Parfois, j'ai utilisé le blog comme une bouteille jetée à la mer avec un appel au secours. Il a été entendu et celui qui y a répondu se reconnaitra.

 

Jamais, je n'ai évoqué des questions personnelles encore moins intimes. Il faut un début à tout mais on verra que ce n'est pas très éloigné de ce dont je traite ici.

 

Il se trouve que, depuis quelques années, j'ai une mauvaise haleine. Pour faire simple, je pue du bec. J'en suis souvent conscient car je sens une douleur au fond de la gorge. Auparavant, cette gène était due aux pathologie hivernale, maux de gorges, pharyngites etc. Maintenant, c'est pour ainsi dire en permanence. Des amis me le font remarquer et je suis désolé pour eux. En plus, cela ajoute à ma timidité dans les relations sociales. Je me sens encore moins sûr qu'avant ; déjà qu'ils me reprochaient de ne pas m'affirmer assez.

 

Donc, je prends les devants et je crois intelligent de dire à mes interlocuteurs que j'ai ce problème afin de m'autoriser à sucer une pastille le cas échéant. Ceux qui me connaissent un peu me répondent alors sur un ton qui ne tolère aucune contestation que c'est dû à ceci ou à cela. En général, ils me conseillent fortement de changer mon régime alimentaire car je souffre de mal à l'estomac. Alors, là, bravo !

Je les admire. J'éprouve une certaine culpabilité à ne pas apprécier assez la chance que j'ai d'avoir de telles connaissances. Sans me connaître intimement, sans m'avoir examiné le moins du monde, sans connaître mon histoire, ils m'adressent un diagnostic imparable dans la seconde qui suit. J'éprouve même de la peine en pensant que certains d'entre eux vivent une situation difficile (pas autant que la mienne même s'ils sont persuadés du contraire) puisqu'ils pourraient exercer la médecine avec succès sans avoir suivi la moindre étude. À l'énoncé d'un trouble quelconque, ils sont capable d'asséner un diagnostic et un remède. Encore une fois, bravo !

Seulement, comme je suis un peu têtu, je me permets de nuancer leur propos. Je leur dis que je mange bien, plutôt des légumes (j'ai quasiment abandonné la viande), je ne fais qu'un repas par jour. Je mange des produits variés et de saison. J'ai du mal à penser que ce qui est préconisé un peu partout soit la cause de ma mauvaise haleine. J'ajoute, finalement, que le matin, j'ai du sang dans la bouche (gencives sensibles) et que ça pue. Enfin, je précise que j'ai mal à la gorge depuis l'age de quinze ans à cause de mes amygdales. Rien n'y fait. Si j'ai mauvaise haleine, c'est à cause de mon estomac et de ce que je mange même quand je n'ai rien mangé depuis huit ou dix heures. De toute façon, tout ce que je peux dire est retenu contre moi. Si je mange, c'est pas bon. Si je ne mange pas, c'est pas bon non plus. Pour eux, la bouche doit être une sorte de regard d'égout qui reflète la macération des aliments attaqués dans l'estomac par les sucs digestifs. C'est la bouche d'aération de l'estomac.

 

En fait, je comprends mieux quand je sais que ces personnes suivent un régime alimentaire très différent et n'ont de cesse d'amener les autres à leur régime. Je sais par ailleurs que d'autres souffrant de troubles du sommeil, de maux de dents, de sciatiques ont reçu les mêmes réponses. Il faut changer son alimentation. Personnellement, je ne mange donc plus de viande. Ce n'est pas assez : il faut ne manger que des légumes. Quand on mange des légumes, ce n'est pas assez : il faut qu'ils soient bio. S'ils sont bio, ce n'est pas assez, il faut qu'ils viennent d'une AMAP. On n'est pas loin de la religion. Pour le moment, ça ressemble plus à une secte mais l'étape suivante approche. On sera sauvé si l'on suit les préceptes végétariens et encore à condition que etc.

 

Maintenant, pourquoi parler de ça ici. Tout simplement parce que je pense que nous connaissons tous des individus de ce type, surtout quand on fréquente des milieux de gauche, écologistes, altermondialistes, voire carrément révolutionnaires. Ce type est bien répandu. Seulement, quand on songe à la légèreté avec laquelle ils assènent des solutions toute faites pour votre santé sans rien savoir de vous sinon que vous avez mal, on peut légitimement et sérieusement s'interroger sur la qualité de leur réflexion concernant d'autres sujets moins intimes et d'intérêt plus général. Quel crédit accorder à des gens qui vont vous soigner sans même l'imposition des mains qui donnerait un peu d'allure à leur vocation médicale frustrée ? Ils me rappellent cet épisode de « Cent ans de solitude » où une femme très pieuse consulte des médecins par correspondance qui finissent par l'opérer de toute autre chose que de sa pathologie bénigne. On peut craindre le pire avec ces individus bourrés de certitudes mais sans qu'aucune ne soit étayée par une réflexion ancrée dans le concret et alimentée par la confrontation des idées. Ils restent entre eux et se convainquent mutuellement qu'ils ont raison contre tout le monde.

 

Autre grief adressé à mes connaissances. Nous avons vu dans quel milieu j'évolue. On s'en doute un peu en lisant mes articles d'ailleurs. Depuis l'age de raison (on n'emploie plus trop ce terme de nos jours), on me dit sans arrêt : « arrête de râler ! ». En effet, lorsque je vois, j'entends, quelque chose qui ne me convient pas, qui vient heurter ce que j'ai appris et crois bon, je le dis. Ça va des désagréments du quotidien à des contraintes réglementaires inadaptées pour ne pas dire stupides, pour ne pas dire inutiles voire dangereuses. Évidemment, ça concerne aussi tout ce qui touche à la vie en société, aux rapports humains. « Arrête de râler ! » parce qu'il n'y a pas de places assises pour les vieux, trop de marches pour les infirmes, pas assez de métros ou d'autobus et qu'on est serré. « Arrête de râler ! » parce qu'on n'a pas prévu d'abri quand il pleut. « Arrête de râler » parce que les notices sont écrites en anglais ou que les montres ou les tableaux de bord des voitures sont en anglais aussi quand il serait si facile de poser un simple autocollant. « Arrête de râler » parce que t'as attendu trois semaines ton rendez-vous chez le dentiste ; précisément. « Arrête de râler ! » parce qu'on voit trop untel à la télévision, parce qu'on parle trop de ceci et pas assez de cela.

 

 

« Arrête de râler ! »« Arrête de râler ! ». Pourtant, ce comportement qui refuse le monde tel qu'il est avec ses imperfections qui nous emmerdent au jour le jour devraient être partagées. Tout le monde est emmerdé. Plus particulièrement, ceux qui militent ou sympathisent avec des mouvements de gauche ou révolutionnaires devraient me rejoindre. Je reçois surtout des sourires amusés. C'est vrai qu'il a raison, qu'on est emmerdé, mais on n'est pas là pour parler de ça. Il y a de grandes causes et ce sont elles qui nous intéressent. L'injustice au quotidien ne vaut rien face à la déforestation de l'Amazonie et aux dissidents enfermés sans jugement en Chine. Pas étonnant que le budget de la Justice soit si faible. « Arrête de râler ! ». Je sais, je sais. Bien sûr, c'est autrement plus exaltant de s'enflammer pour de si universelles et si nobles causes. Pourtant, l'influence d'un comité de quartier sur la politique chinoise ou brésilienne est assez faible. Ce n'est pas une raison pour ne rien faire, j'en conviens. Pourtant, sans aller chercher si loin, il y a bien des causes à défendre dans son propre quartier. Il y a des gens à secourir à nos portes. Mais non, ça, ça ne vaut rien. C'est aux pouvoirs publics de faire quelque chose. Et puis, c'est pas intéressant. C'est pas valorisant. C'est trop – comment dire ? – trop concret. Personne ne va être élu en disant qu'on doit être informé en français en France. Au contraire, ça susciterait quolibets et dénigrements. Personne ne sera élu en disant qu'il faut des abris sur la voie publique. On parle peu de la santé publique dans les débats pourtant, il y a à faire entre les délais d'obtention d'un rendez-vous y compris chez le généraliste et les médicaments qui ne sont plus remboursés, sans parler des actes de plus en plus chers. On parle peu du chômage parce que c'est devenu bateau, ça lasse tout le monde ; sauf ceux qui sont concernés et de plus en plus nombreux.

 

Alors, tu comprends que j'en ai marre de tous ces gens sûrs d'eux et dominateurs, qui te donnent des leçons et n'ont aucun pied dans la réalité des choses.

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Commentaires
A
Comme j'ai reconnu des camarades, des amis et parfois des parents trés chers dans ta terrible description ! Depuis les diagnostiqueurs infaillibles, psychanalyseurs nés, inconditionnels des médecines parallèles (contre lesquelles je n'ai rien...) et des AMAP, jusqu'aux écolo-ravageurs, pétitionneurs des marges exotiques, tous donneurs de leçons qui seraient bien attristés de tout le mal que l'on pense parfois d'eux sans cesser de les aimer. Comme je me suis aussi reconnu dans le "râleur" que craignent les gens doux et pacifistes (le râleur est pourtant lui aussi doux et pacifiste...)! Bref tu mets le doigt par ce billet sur ce que la société fait de nous, "pierres tendres tôt usées" dit le poète. Et cette usure n'est pas pour rien dans notre souffrance...sous toutes ses formes . Que dire - qui ne soit hi hypocrite ni banal - de celle que tu évoques au début de ton article ? Que dire ?
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