Grève à Radio France
Décidément, il faut que les journalistes et, notamment, ceux de l’audiovisuel, soient impactés pour qu’une nouvelle soit transmise à la connaissance du public.
Les antennes de Radio France, premier groupe de radios en France, ont donc été fermées lundi 25 novembre 2019 pour protester contre le plan de licenciement de près de 300 personnes. Les personnels de Radio France sont d’autant plus abasourdis que les audiences officielles de leurs stations affichent d’excellents résultats avec des progressions et une première place pour la vaisseau amiral qu’est Inter. On a envie de dire avec eux, « à quoi bon ? » puisque l’exécutif a annoncé depuis longtemps vouloir baisser les crédits de l’audiovisuel public et, pour faire avaler la pilule et prévenir toute protestation, la redevance sur l’audiovisuel. Ça, c’est le fond du problème. Voyons maintenant ce qu’il y a autour.
D’habitude, quand le Gouvernement annonce une réduction d’effectifs dans un service public, avec fermeture des bureaux locaux, les mêmes journalistes développent à peine le communiqué de presse. C’est donc la version officielle qu’on retient : le Gouvernement suit les recommandations l’enjoignant de faire des économies et de réduire ses dépenses. Le terme « réduire les dépenses de l’État » est adopté sans ciller par tous les journalistes alors même qu’il s’agit d’investissement et de budget de fonctionnement. Personne pour le relever et, quand bien même un invité oserait, ses propos ne seraient pas repris. Cette fois, ce n’est pas le vent du boulet qu’on ressent dans les rédactions de Radio France, comme ça a pu l’être dans le passé au moment où des dizaines de licenciements étaient actés à RFI, mais le boulet lui même qui va s’abattre sur elles, techniciens et surtout journalistes. Ça change tout.
D’habitude aussi, quand il y a une grève (comme celle annoncée du 5 décembre), les journalistes se répandent sur les malheureux usagers, pris en otage, par ces méchants privilégiés que sont les salariés des services publics ; les seuls à pouvoir encore faire grève sans risquer d’être mis à la porte. Il y a parfois des rédactions, comme celles d’RTL ou Europe1 qui entendent mettre en place un dispositif pour contourner la grève. De toute façon, à la fin de la journée, les commentaires sont toujours tournés de manière à minimiser le nombre de grévistes, l’impact de la grève, mais à amplifier le mécontentement de ceux qui la subissent. On peut résumer le traitement de la grève par les journalistes avec cette formule : vous voyez bien que ça sert à rien alors arrêtez d’embêter tout le monde. Pour être honnête, il faut aussi souligner que M. Nicolas Demorand a demandé à un auditeur mécontent de ne pas employer le terme « prise d’otage » pour qualifier les conséquences sur le public. Il est sûrement le seul à l’avoir fait.
Depuis tant d’années, tant de lustres (5 ans), tant de décennies que les journalistes dénigrent les grèves, donnent la parole au râleurs qui pestent contre les grévistes, ridiculisent les discours syndicaux, on a fini par ne même plus savoir ce qu’est une grève ni à quoi ça sert. On a l’impression que c’est une tradition, une sorte de chahut folklorique, de monôme,organisé par des salariés qui, non contents d’avoir un emploi et un emploi pérenne, trouvent encore le moyen de se plaindre publiquement. Si ça n’était que ça, on laisserait faire mais les défilés perturbent la circulation et les arrêts de travail gênent ceux qui doivent continuer à aller bosser. D’où l’appareil législatif mis en place par le Président Sarkozy afin de contraindre les grévistes à travailler quand même mais en perdant une journée de salaire qui est toujours bonne à récupérer pour l’employeur qu’il défend. Le but est que personne ne s’aperçoive plus qu’il y a une grève et que la grève disparaisse sans qu’on ait besoin de l’interdire. Normalement, le but de la grève est d’impacter le reste de la population en espérant que la gêne pousse à soutenir les revendications des grévistes. Or, nous venons de voir que, au fil du temps, tout a été fait pour encourager la population à faire pression sur les grévistes pour qu’ils cessent et non sur leurs employeurs cupides.
Le mouvement à Radio France est un peu différent puisqu’il ne s’agit pas de réclamer de meilleures rémunérations ni de meilleures conditions de travail mais d’attirer l’attention des auditeurs sur le plan de licenciements massif. Lors du départ forcé de M. Mathieu Gallet, on avait senti une certaine satisfaction à l’antenne. Ce jeune loup, féru de nouvelles technologies, devenu leur PDG ne leur plaisait guère et on avait accueilli avec bienveillance la nomination de Mme Sybile Veil. On avait apprécié la nomination d’une femme à ce poste, gage de modernité et de progrès. On n’avait pas mesuré qu’elle venait pour une mission, à l’instar d’un Guillaume Pépy à la Sncf, devenue « Sncf » tout court sous son mandat, autrement dit une simple marque commerciale (appelée à disparaître d’ici un avec le statut de SA) et plus une société qui rend un service public. La comparaison avec M. Pépy ne s’arrête pas là. Tout comme lui, l’appareil de production et le(s) produit(s) importent peu voire pas du tout. L’un ou l’autre aurait très bien pu diriger une usine de pneumatiques, d’assurances, d’agroalimentaire ou autre. Leur mission était de faire des économies. L’un a demandé à son personnel de travailler autant mais avec moins de moyens puis a décidé de réduire voire de supprimer tout ce qui coûte. Faire rouler un train coûte de l’argent donc, le mieux est qu’ils aillent à la ferraille. S’il n’y a plus de train, plus besoin de vendre des billets (le personnel coûte cher et les automates aussi), plus besoin de payer des impôts sur le foncier des gares, plus besoin d’entretenir des mécaniques et des mécaniciens. Quant aux clients, pourtant encore nombreux, qu’ils se débrouillent avec ce qui existe à côté, ce n’est pas son affaire. L’autre s’apprête à faire de même. Faire de la radio coûte cher. Outre le personnel (à l’antenne, sur le terrain, à la technique), il faut entretenir des bureaux dans les centres des villes, là où les loyers sont les plus chers, il faut disposer de véhicules, il faut utiliser des fréquences. C’est sûr que si l’on en supprime une partie, on réalise de substantielles économies. Après tout, pourquoi ne pas tout supprimer ? La baisse de moyens va forcément obliger à revoir certains programmes à la baisse. Bien sûr quand l’émission consister à recevoir et à discuter avec « mon invité aujourd’hui », on se dit qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de frais mais c’est encore trop.
C’est sûr que ça coûte moins cher de rien faire. Un individu qui renoncerait à sortir de chez lui n’userait pas ses chaussures et n’exposerait pas ses vêtements aux intempéries et à la poussière, ferait moins de mouvements et aurait besoin de moins manger. C’est bien ce raisonnement qui anime tous les PDG des entreprises publiques depuis quelques années. On réduit la voilure puis on ferme faute de clients (d’auditeurs en l’occurrence) et on peut ainsi réduire les impôts et ça, ça passe bien. Le problème, c’est que l’antenne d’Inter est occupée en permanence (depuis l’assassinat de Bernard Maris) par des commentateurs qui approuvent et même recommandent cette logique de réduction des dépenses de l’État. Le simple usage du terme « dépenses de l’État » plutôt que « investissement de l’État » est une prise de position qui influence l’auditoire. Là où ça devient un problème, c’est quand cette position se retourne contre ceux qui la diffusent. Tant qu’on fermait des lignes de trains, on pouvait bien se montrer agacé par ces ploucs de province (pardon « des Régions ») qui prennent leurs tortillards mais quand ce sont des journalistes qui ne peuvent plus faire leur métier, on entre dans l’ère de la barbarie avec son lot d’atteintes à la pluralité. Nous aurons bientôt un aperçu du répertoire journalistique lorsque ces messieurs-dames sont touchés.