Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la lanterne de diogène
3 mars 2020

Ernesto Cardenal

Le père Ernesto Cardenal occupe une place à part dans l’Histoire de l’Amérique latine et dans celle du catholicisme. Le monde entier a connu ce modeste prêtre lorsque, débarquant de l’avion, son pape Jean-Paul II le tance, à peine posé le pied à terre. Le souverain pontife aurait pu attendre une des nombreuses réunions avec le clergé pour lui exprimer sa façon de penser mais il a voulu le faire sous les caméras du monde entier. Il reprochait à son prêtre de participer au gouvernement sandiniste, d’inspiration marxiste, qui dirigeait le Nicaragua en 1983.

ErnestoCardenalOn peut comprendre que ce pape venu du principal pays au cœur des enjeux de la guerre froide, qui, après avoir combattu le nazisme a lutté contre la mainmise soviétique, voyait le communisme comme principal danger pour l’Église et pour le monde. Il n’empêche que lui et la plupart des observateurs de l’époque (et encore aujourd'hui) n’ont rien compris des réalités de l’Amérique latine et de ce qu’on appelait le Tiers-monde, en général. Le Nicaragua, comme beaucoup de ces pays, était entre les mains d’une famille qui tyrannisait sa population et accaparait le peu de richesses disponible. Somoza avait empoché l’argent de l’aide internationale pour reconstruire la capitale après le tremblement de terre. Jean-Paul II l’ignorait-il ? Le pays était un de ceux où il y avait le plus d’analphabètes. Dans ces conditions, former un gouvernement n’est pas chose facile. D’abord, les militaires, les officiers surtout, sont instruits et possèdent des armes. Ensuite, parmi ceux qui ont pu étudier quelque peu, on trouve les clercs, parmi eux, le père Cardenal. On peut penser aussi que son éducation chrétienne l’a rendu sensible à la misère, à l’injustice et au besoin de redresser son pays dans une perspective plus digne. Le pape aurait-il houspillé le bouillant chanoine Kir, maire et député CNI de Dijon ? Jean-Paul II ne voulait voir en lui qu’un des principaux porte-paroles de la « théologie de la libération » qui justifiait le recours à la violence et aux armes pour se débarrasser des dictateurs. Le pape Wojtyła ne pouvait pas comprendre qu’on puisse être chrétien, catholique et révolutionnaire ; révolutionnaire parce que les circonstances poussaient à la révolte. En cela, il n’était pas le seul et même dans les milieux de gauche, qui auraient pourtant dû être tous favorables aux mouvements insurrectionnels latino-américains, on ne pouvait comprendre. La main tendue de Thorez aux chrétiens demeurait énigmatique et exceptionnelle.

Ce pape avait assis sa popularité sur sa capacité à dialoguer avec les foules – comme au Parc des Princes à Paris en 1980 – en improvisant, plaisantant, tout en restant ferme sur le dogme. Au Nicaragua, il en est resté au programme officiel, sans un mot pour les 700 000 fidèles (rapportés à la population du pays) réunis pour sa messe à Managua. Les Latino-américains, pour la plupart métissés d’Amérindiens, ont gardé de leurs origines un profond sentiment religieux. On mesure l’immense déception qui a été la leur de voir le très populaire père Cardenal réprimandé comme un garnement et leur ferveur se briser sur la froideur du pape.

C’est probablement de là que datent les premiers doutes autour du pape Wojtyła. Nombre de chrétiens, au-delà des catholiques, pensaient que ce jeune pontife allait apporter du sang neuf à l’Église en perte de vitesse. Le fait est qu’il l’a renforcée mais privée aussi de ces éléments les plus progressistes capables de préparer l’avenir. Le reste de son long pontificat a été une suite de désillusions et de contestations. Jean-Paul II maîtrisait l’appareil médiatique. Il savait ce qu’il fallait faire et dire pour donner de belles photos, mémorables, tandis que l’essentiel se passait en réunions préparées minutieusement. On sait, à présent, que sa rencontre avec Reagan a décidé du sort du monde. Les deux avaient en commun d’avoir échappé à la mort et leur haine du communisme. Après les photos du Président du plus grand pays protestant du monde avec le chef des catholiques, les discussions ont porté sur la collaboration pour assurer le renversement des dictatures de l’est. Fin politique, Wojtyła n’en appelait pas moins ses prêtres et évêques à ne point s’en mêler. C’est ainsi qu’il a relevé de ses fonctions d’évêque le tempétueux Jacques Gaillot. Tout allait dans le même sens mais les faits lui ont donné raison. Mgr Gaillot n’intéressait les médias que tant qu’il était dans la maison et ruait dans les brancards. Du jour où il en a été chassé, il rejoignait la foule inintéressante au possible des anticléricaux. On n’en a plus entendu parler et Jean-Paul II a encore gagné sur ce terrain-là. L’Église aux côtés des pauvres n’était pas à l’ordre du jour. L’Abbé-Pierre n’était pas bien vu au Vatican. Sur le terrain, on sait l’efficacité des organisations dans la mouvance catholique mais la haut clergé travaille surtout à conserver le pouvoir. Le pape actuel, lui aussi latino-américain mais loin de la théologie de la libération, est très populaire en dehors de l’Église où son appel à retrouver les fondamentaux du message de Jésus passe mal et où les milieux conservateurs qui s’appuient sur l’organisation de l’Église lui ont déclaré la guerre.

Pour tous ceux qui regardaient l’Amérique latine dans ses années de lutte, le père Ernesto Cardenal était une figure incontournable de la lutte que menaient les peuples pour leur émancipation. Pour reprendre une expression célèbre, comme poète, il mettait la beauté et l’intelligence au service de la révolte. Il restera un exemple.

 

https://www.france24.com/fr/20200302-nicaragua-mort-ernesto-cardenal-poete-revolutionnaire

http://www.lavie.fr/actualite/portraits/ernesto-cardenal-chantre-de-la-theologie-de-la-liberation-s-est-eteint-02-03-2020-104330_63.php

https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/le-nicaragua-pleure-ernesto-cardenal-le-pretre-et-poete-revolutionnaire-figure-du-sandinisme_3848773.html#xtor=EPR-919-[NLculture]-20200302-[content9]

 

Publicité
Publicité
Commentaires
la lanterne de diogène
Publicité
la lanterne de diogène
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 219 755
Newsletter
Publicité