Belfort vaincue (réponse à la tribune de M. Chevènement)
Nous avons publié hier ce long texte qui reprend nombre d’idées, d’analyses et de valeurs défendues ici.
Sur un mode apparemment anecdotique, nous avons déjà rappelé que les fleurons de l’industrie française ont été dépecés, démantelés au gré des privatisations dans la mesure où les actionnaires, toujours attirés par le plus offrant, se sont tournés, retournés, détournés vers des capitaux étrangers. Nous avons aussi attiré l’attention sur le rôle occulte et prépondérant de Bouygues qui détermine, de fait, l’orientation économique du Gouvernement. Il suffit qu’il acquière ou se défasse d’un portefeuille d’action pour que des pans entiers de l’économie française s’en trouvent affectés et que la vie de milliers de ménages soient à sa merci.
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Nous défendons ici la nécessité d’un État fort non pas parce que nous feignons d’ignorer que le pouvoir est toujours tenté d’en abuser et d’opprimer. Nous le savons mais chaque chose en son temps et la structure étatique est loin d’être la seule ou même la pire quand il s’agit d’exploiter.
Lorsqu’il a fallu redresser la France après la guerre, on avait besoin de la garantie d’un État fort et de sa volonté politique pour coordonner la reconstruction. Cela a permis à la France de garder son indépendance dans le monde bipolaire né de Yalta en l’absence notoire du Général De Gaulle. Ce faisant, en orientant les entreprises vers l’effort de reconstruction, on créait ou renforçait des pôles industriels capables de répondre aux besoins de la population mais sans dépendre du bon vouloir d’entreprises étrangères soumises au diktat d’intérêts étrangers. C’est la recette appliquée en Chine avec les résultats que chacun peut observer.
Nous avons également dénoncé le mot d’ordre des années 1990 qui a conduit, le plus souvent, à la fermeture de branches entières de grands groupes et à la mise à pied de leurs salariés : « se recentrer sur son métier ». Alors que les décennies précédentes avaient vu des grands groupes s’agréger en diversifiant leurs productions, il était devenu de bon ton de railler cette stratégie qui permettait pourtant, quand une branche connaissait des difficultés, de voir les autres la soutenir en attendant de trouver une solution. Carrefour et les rêves
Où l’on voit aussi que, au nom des modes du moments, les financiers savent trouver les mots (« les éléments de langage » pour reprendre le vocabulaire technocratique) pour abuser l’opinion. Nous avons dit aussi, à plusieurs reprises, que ce langage travesti est l’apanage des totalitarismes. Ainsi, afin d’accompagner la révolution informatique, on a commencé par fermer les usines au prétexte que comme le secteur primaire (l’agriculture), le secteur secondaire (l’industrie) devait être réduits pour laisser l’hégémonie au tertiaire. Le problème, c’est que dans ce fameux tertiaire, les acteurs sont soumis aux aléas d’entreprises étrangères par le biais de participations croisées et du jeu de la grande finance internationale.
Certes, les velléités d’indépendance informatique n’ont pas été couronnées de succès dans le passé. CII-Honeywell-Bull a été un fiasco et des marques comme Goupil ou Thomson (informatique) n’ont jamais pu percer. Il est vrai que si, à l’époque, des journaux comme Le Figaro ou Le Quotidien de Paris ne tiraient pas tous les jours à boulets rouges sur les dépenses de l’État, le plan Jospin qui a équipé les établissements scolaires en ordinateurs aurait prévu aussi la maintenance et le remplacement, ce qui n’a pas été fait avec les conséquences que tout le monde sait. On ne peut pas être bon partout et des marques comme Olivetti, Roneo, Olympia, ont disparu ailleurs aussi ou ont été marginalisées.
Les Trente Glorieuses ont été possibles parce qu’il fallait reconstruire la France. Ailleurs dans le monde, les changements induits par la fin de la guerre ont aussi constitué un moteur de développement. Est-ce à dire qu’il n’y a plus rien à reconstruire ? En partie oui mais il existe encore de nombreux besoins à satisfaire et, surtout, il faut répondre à une population qui augmente à une vitesse encore jamais observée. À l’occasion de sa mort, on a repassé des propos tenus par le philosophe Michel Serres. Dans un entretien, il rappelle qu’à sa naissance, il y avait 2 milliards d’habitants dans le monde et qu’à l’heure où il parlait, il y en avait déjà 7. En une vie (prolongée par rapport à l’espérance à sa naissance), la population mondiale à plus que triplé. L’Europe est surpeuplée et attire encore, bien que dénigrée par des pans entiers de sa population. Sans poursuivre cette fuite en avant qu’est la recherche de croissance, il faut néanmoins répondre aux besoins de la population. Soyons sûrs qu’à ce rythme, on atteindra les 10 milliards, non pas en 2050 comme on nous annonce mais plus certainement en 2030 ou peu après, soit tout de même avec près de 20 ans d’avance sur les prévisions. Ceux qui prévoient ne seront plus là pour vérifier.
Or les pays qui connaissent soi-disant le plein-emploi sont simplement dotés de dispositifs qui ne comptabilisent pas toutes les personnes privées d’emploi et masquent la précarité. Il faut aussi ajouter que parmi les pays soi-disant de plein-emploi, se trouvent aussi ceux qui ont une faible population qui trouve donc plus facilement à s’employer mais un pays comme le Danemark qui voit sa population augmenter artificiellement depuis quelques années envisage des mesures pour ne pas se laisser submerger comme ses voisins plus au sud.
Aujourd’hui, donc, s’il n’y a plus la reconstruction pour doper l’économie, une nouvelle chance se présente à nous, la transition écologique. La transformation et l’adaptation de l’existant, le développement de nouvelles branches et filières sont autant d’opportunités qui sont pourtant contrariées par des intérêts particuliers. Ils s’y emploient depuis déjà longtemps. En plus, les activités induites par la transition écologique ne sont pas délocalisables. Par conséquent, c’est un formidable moteur de croissance qui se présente à nous ; et de la bonne croissance car il y a maintenant une conscience suffisamment répandue pour éviter les conséquences désastreuses des bonds en avant du passé comme la pollution, les accidents du travail et, d’une manière générale, ce qu’on appelait « génération sacrifiée ». C’est là que nous divergeons fortement avec M. Chevènement. Si son analyse est incontestable, ses propositions ne correspondent pas aux monde tel qu’il est. Lui a été formé par une certaine école de pensée où le travail humain est au-dessus de tout et l’humain subordonné au travail. Cette école a fourni de bonnes analyses autrefois mais est inadaptée au monde actuel car elle occulte totalement la nature qui est pourtant le cadre de toute activité et qui fournit la matière du travail. Or, ce cadre est fortement dégradé par l’activité humaine. Avec 2 milliards d’humains (pour reprendre le nombre avancé par Michel Serres), il y avait de la place pour tout le monde et de la matière pour travailler et satisfaire les besoins. Il suffisait d’avancer vers la justice sociale pour y parvenir. À bientôt 8 milliards (probablement dès la fin de l’année prochaine), on épuise les ressources. On aura pris 2 milliards en 20 ans alors qu’il en a fallu 40 pour progresser de 3 milliard juste avant. Déjà, on emprunte de plus en plus tôt les réserves pour les années à venir. Chaque année, la date moyenne avance.
Les mêmes qui voient les 10 milliards en 2050 repoussent à chaque nouveau milliard les capacités de la terre à assurer la subsistance de l’humanité. On nous disait avant que la Terre pouvait nourrir 9 milliard d’humains puis, petit à petit, alors même que les surfaces cultivables diminuent pour faire place aux lotissements et aux activités, on nous affirme que la Terre peut nourrir 12 et même 13 milliards d’humains. Pourquoi pas 15 ? Quand on sait qu’après la mort des palmiers à huile, le terrain ne peut plus être cultivé avant des années, on a une idée de ce qui nous attend. Il est vrai que le Président Bolsonaro du Brésil prétend défricher totalement l’Amazonie pour y faire des cultures lucratives d’OGM. Tout va bien, donc, pas d’inquiétude.
On a beau dire qu’il ne faut pas consommer plus que ce qu’on peut reconstituer, on continue et il est difficile de convaincre des gens issus de générations frustrées qu’ils doivent maintenant renoncer à la viande, au béton et au gaspillage, alors qu’ils ont, via la télévision et les médias, les images de ceux qui ont gaspillé depuis des décennies et qui donnent l’impression de vivre beaucoup mieux qu’eux. Personne n’est prêt à renoncer à son téléphone mobile même en sachant qu’il contient des terres rares et même en sachant que leur extraction se fait au prix de guerres sanglantes, du travail d’enfants, de quasi esclavage, d’enrichissement de pègres locales et, bien sûr, d’épuisement de la ressource. Ne parlons même pas des dégâts causés à l’environnement pour les extraire. Ce n’est pas pour rien qu’on nomme ces minerais des « terres rares ». Il n’y en aura pas pour longtemps. M. Chevènement hait tout ce qui ressemble à l’écologie. Autrefois, comme Ministre de l’Intérieur, il avait laissé saccager les locaux de sa collègue Ministre de l’Environnement et n’avait pas poussé pour, ne serait-ce qu’arrêter les coupables sur le fait. Aujourd’hui, il persiste dans la superstition consistant à penser que les énergies renouvelables sont intermittentes et qu’il faut donc « suppléer leur insuffisance ». Il ne se demande pas d’où viennent les énergies anciennes telles que le gaz qu’il semble affectionner. Pour lui, il suffit de puiser dans le sous-sol et de l’utiliser. Il semble ignorer que les hydrocarbures sont épuisables et que, en attendant, il faut les transporter et les transformer. Il a dû oublier que le fameux gaz de Lacq qui a permis d’équiper les ménages français, pendant les années d’expansion, est aujourd’hui tari et qu’il faut se plier aux accords passés avec les Gouvernements qui possèdent ces ressources sur leurs sols. Il semble oublier que la guerre en Afghanistan avec toutes les conséquences déjà accumulées depuis 40 ans (dont l’attentat de 2001), à présent, sont dues essentiellement au passage de gazoducs et d’oléoducs. Il feint d’ignorer que l’acharnement de l’administration étatsunienne contre l’Iran est due surtout à des histoires d’oléoducs et de fourniture de pétrole et de gaz. Pourtant, il dénonce à juste titre l’extraterritorialité du droit étatsunien qui permet à la Maison Blanche de poursuivre n’importe quelle entreprise de n’importe quel pays au prétexte qu’elle dérogerait, ne serait-ce que pour une part minime, à des décisions prise. Il suffit qu’un boulon, un joint, l’encre d’une imprimante soit sur la mauvaise liste pour que l’entreprise soit sanctionnée. Elle peut procéder à l’arrestation de n’importe quel dirigeant, n’importe où dans le monde, pour imposer sa loi. Qu’on se souvienne qu’à la fin des guerre de Yougoslavie, la Serbie s’est retrouvée sans crayon à papier car le graphite qui les compose (et qui est fait pour ça normalement) entre dans la fabrication de bombes à graphite, utilisées d’ailleurs par les seuls pays de l’Otan. Si l’on peut décider de priver un pays de crayons, on peut imaginer le reste. Si Philpp Morris peut attaquer l’Uruguay (après la Thaïlande et d’autres) pour sa politique sanitaire contraire à ses intérêts, c’est aussi parce qu’on le veut bien. Il suffirait que l’UE annonce qu’elle ne reconnaît pas l’extraterritorialité du droit étatsunien pour que la plupart des autres pays lui emboîte le pas. Seulement, il faut une volonté politique comme celle qui avait conduit le Comité National de la Résistance puis De Gaulle à se passer des autres quand l’intérêt de la population est en jeu. Nous savons aussi que ça n’exclue pas la coopération, au contraire, mais que ça s’oppose au dogme sacro-saint de « la concurrence libre et non-faussée ».
https://www.letemps.ch/economie/justice-donne-raison-luruguay-poursuivi-philip-morris
M. Chevènement cible comme nous l’efficacité de la ringardisation. Il est tout de même curieux de constater que les Français, et depuis longtemps, méprisent leur drapeau et autres symboles nationaux mais achètent volontiers de la maroquinerie qui arbore le drapeau britannique et considèrent que tout ce qui vient d’outre Atlantique (nord seulement) est forcément mieux. On n’a jamais lu de témoignage de Français revenant des É-U et dénonçant la présence de drapeaux aux fenêtres des particuliers, dans leurs jardins, sur leurs voitures alors qu’on regarderait avec stupeur un drapeau chez un particulier ici, qu’on apprécie peu les bâtiments pavoisés et qu’on accepte que des chauffeurs de bus parisiens refusent d’accrocher des drapeaux sur leurs bus les 14 juillet et 11 novembre. Il en résulte – et nous le rejoignons – un état d’esprit qui non seulement ne se soucie pas de l’intérêt commun mais qui, en plus, cherche à affaiblir l’État. Nous avions dénoncé la volonté de supprimer l’ENA car elle prive l’État d’une élite capable d’affronter les difficultés de l’ordre mondial. Nous savons tous les faiblesses de cette institution mais sa suppression n’en viendrait pas à bout, tout au contraire. Il y aurait encore moins d’enfants d’ouvriers parvenant à des postes de décision et le formatage serait organisé par autant d’écoles privées soucieuses de servir des intérêts particuliers. Nous savons le rôle déterminant des études supérieures dans l’avenir d’un pays et nous avons, à plusieurs reprises, rappelé que tout le monde, aujourd’hui, a été formé à l’économie dans le manuel de Barre (ou de ses émules) qui a diffusé en France les funestes théories de l’École de Chicago ; avec les résultats qu’on peut observer. Ces résultats, ce sont précisément ceux qui sont dénoncés ici par M. Chevènement et notamment la mise en concurrence (« libre et non-faussée ») de tout ainsi que la casse de l’industrie française. Par le biais de ses réseaux, Barre avait réussi à faire casser les fameux « noyaux durs » imposés par M. Chirac lorsqu’il s’est agi de privatiser les groupes industriels une fois requinqués par les nationalisations de 1982. Bien sûr, instruit par la défaite de 1981, il importait à M. Chirac de conserver le pouvoir en plaçant à la tête des groupes privatisés des gens à lui, non plus soumis aux aléas électoraux. N’empêche, les « noyaux durs » avaient le seul mérite de conserver leur capital dans le giron français. À partir du moment où l’on a fait sauter ces noyaux, le capital a pu s’égailler au gré de la spéculation boursière.
Cela n’est possible que dans un contexte de dénigrement systématique de ce qui est français et dans la croyance que tout ce qui vient d’ailleurs, et singulièrement des É-U est forcément mieux. Macron : la dysphonie du nouveau monde
Au moment de publier ces lignes, nous sommes attirés par cette information.
Un paragraphe contient l’essentiel du propos : «La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort.»
Le Parti Républicain étatsunien fonctionne depuis plusieurs années comme un CA d’entreprise qui cherche par tous les moyens à éliminer ses concurrents ou en faire des sous-traitants soumis. Avec l'extraterritorialité de son droit, les É-U peuvent tout se permettre y compris de voler des entreprises étrangères, d'utiliser leurs savoir-faire et d'empêcher leurs pays d'origine d'y accéder. Le transfert à GE de l'excellence nucléaire de la France est très lourde de conséquences. Le problème, c’est qu’il est ringard en France de défendre les intérêts de la France alors que tous les autres pays le font et que tout le monde trouve ça normal, y compris ici. Le problème, c’est que les patrons français ne sont pas soucieux de l’intérêt de leur pays et que les délocalisations ne sont que la partie la plus visible d’un comportement assimilable aux activités d’une cinquième colonne.