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la lanterne de diogène
25 janvier 2018

Carrefour et les rêves

Voilà que Carrefour occupe la une de l’actualité depuis quelques jours, depuis que son nouveau PDG, M. Bompart a annoncé un plan de sauvetage, accompagné (puisqu’on est en France) d’un plan de licenciements massif.

Dans le passé, nous avons attiré l’attention sur l’incompréhension du public, des clients de la stratégie de Carrefour. Certes, les cadres du groupe ne consultent pas la lanterne de diogène et ceux qui y viennent ne cherchent pas des questions sur la grande distribution mais c’est en tant que consommateur, que simple passant qui voit les enseignes valser depuis quelques années que nous sommes venus à nous interroger. Voilà que l’actualité vient confirmer que Carrefour n’est pas un acteur du commerce parmi d’autres mais occupe une place particulière.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/09/10/25054956.html

Bien sûr, nous n’avons pas la capacité, ici, de consulter des rapports, des analyses, des courbes pour comprendre comment on en est arrivé là. Nous pouvons, quand même, observer que depuis la fusion des groupes Carrefour et Promodès, en 1999, rien ne va plus. À l’époque , il y avait deux mots d’ordres (parfois complémentaires) dans l’économie des grandes entreprises françaises : il fallait avoir une taille mondiale et/ou se recentrer « sur son métier ». En fait, le premier anticipait ce qu’on appellerait un peu plus tard, « la mondialisation ». Il s’agissait de grossir, en absorbant les partenaires, les sous-traitants, les concurrents pour affronter les géants multinationaux. Pour le deuxième, il s’agissait de mettre fin à la diversification et se concentrer sur un type de produit ou sur une concentration verticale. L’exemple le plus simple, c’est Danone, qui avait une taille mondiale mais qui a décidé de se séparer de toutes ses filiales (notamment les biscuits) pour ne garder que les produits lactés.

Carrefour et Promodès n’avaient, déjà, qu’un seul métier : la grande distribution. Donc, il restait à atteindre une taille mondiale. Dans les années 1990, Promodès n’a cessé de chercher des partenaires. Il a tenté, notamment, une OPA (très à la mode pour atteindre la fameuse taille mondiale) sur le groupe Casino avec lequel il y avait une complémentarité géographique et une taille comparable. Les nouveaux actionnaires de Casino (après le retrait de la famille fondatrice Guichard) ont tout fait pour contrer cette stratégie en rachetant les enseignes Franprix et Leader-Price, rendant le groupe trop cher pour l’épicier normand. Finalement, Promodès n’a eu d’autre choix que de se laisser absorber par Carrefour qui cherchait à grossir afin de conserver sa place de n° 2 mondial acquise, notamment grâce à ses implantations à l’étranger. En s’alliant à Promodès, il diversifiait son offre. Carrefour ne faisait que les hypermarchés. Promodès proposait la gamme complète, de l’hypermarché (Continent) à l’épicerie de village ou de quartier. Le problème, c’est que la plupart des magasins sont indépendants. En d’autres termes, les deux groupes affichaient des cultures d’entreprises diamétralement opposées et la complémentarité ne s’est jamais vraiment concrétisée. Peu après la fusion, on a fait le ménage et nombre d’enseignes de Promodès ont disparu (notamment les hypermarchés Continent tous devenus Carrefour). On a rationalisé en imposant « Carrefour » pour les hypermarchés, « Champion » pour les supermarchés et trois ou quatre enseignes pour les commerces de proximité. Le problème, c’est que les hypermarchés indépendants ne pouvaient pas devenir « Carrefour ». On a donc inventé « Hyper-Champion ». Première entorse à la belle stratégie. Localement, des indépendants possédants plusieurs magasins ont obtenu que le passage à l’enseigne « Carrefour » garde la mention du groupe local indépendant.

carrefour-market

Finalement, le groupe a pensé que tous ses magasins, quelle que soit la taille, devaient passer sous l’enseigne « Carrefour ». En terme de publicité, de reconnaissance, ça se tient. On a donc apposé à l’enseigne unique, une précision genre « market » ou « city ». Rapidement, « Carrefour » a disparu pour imposer « Market » ou « City », ce qui ne renseigne pas sur l’identité du magasin car les enseignes concurrentes en ont fait autant et ont adopté « market » comme indicateur de leur supermaché. Il faut croire que « market » qui veut dire « marché » en anglais est plus compréhensible que « supermarché ». Par conséquent, on est revenu à la case départ, au moment où il y avait diverses enseignes selon la taille du magasin. Outre que ces hésitations laissent une impression d’amateurisme, impensable à ce niveau-là, l’image sur le public est désastreuse. Les clients ignorent tout ça. Quand on parle de la grande distribution dans les médias, le public ne s’intéresse pas aux stratégies. En faisant ses courses, les consommateurs voient les enseignes changer. Ils en concluent que celle qui a disparu a fait faillite et qu’un plus gros l’a bouffée. C’est particulièrement valable quand le magasin est indépendant. Si quelques mois plus tard, ça change encore, les clients n’aiment pas ça. Si, dans les rayons, les produits sont les mêmes, il ne va plus comprendre. Les gens n’aiment pas ne pas comprendre ou avoir l’impression d’être manipulés. Ils vont ailleurs et, en général, ils ont le choix. Parfois, ils vont dans un autre magasin du même groupe mais ne le savent pas toujours. Bien sûr, les dirigeants de Carrefour ne vont pas lire ce commentaire et, quand bien même, souriraient en le découvrant. Le ressenti des clients est tellement éloigné de leurs préoccupations…

 

M. Bompart qui a redressé de manière si rapide et spectaculaire le groupe Darty en l’accolant à la Fnac, qui s’interrogeait sur sa stratégie, a été nommé pour en faire autant avec Carrefour passé du 2e rang mondial au 9e depuis qu’il a absorbé Promodès. En bon patron français, il a tout de suite proposé de dégraisser dans les effectifs. En France, on considère que tout le mal vient du personnel, surtout depuis qu’on le traite de « ressources humaines ». En France, on considère que le personnel n’est pas un facteur de production, comme on l’apprenait autrefois en économie, mais un coût ; et il faut réduire les coûts. Sauf qu’il s’agit de réduire des humains. On a l’impression que les entreprises embauchent par pure charité, que le personnel ne sert pas à grand-chose mais qu’on doit en avoir un peu pour leur faire plaisir. Quand on pousse le raisonnement à se dire que le personnel est juste là pour emmerder le monde, pour amputer le rendement des actions avec les salaires qu’il faut verser et les cotisations qui sont prélevées, on se dit qu’il n’y a plus à hésiter. Le patronat parle de « charges » et il est dans sa logique de se décharger. Par conséquent, le plan Bompart commence par le licenciement massif. Dès le lendemain, l’action terne de Carrefour remontait à la bourse. Les dividendes à deux chiffres versés par les entreprises ne sont pas des charges ; bien entendu…

Il faut dire aussi que, si le public ne s’intéresse absolument pas aux stratégies des groupes de la grande distribution, il ne s’intéresse pas plus aux « ressources humaines ». Les hypermarchés proposent tous des caisses automatiques, avec paiement par carte de crédit mais sans caissière ; pardon « hôtesses de caisses ». Elles remplacent les caisses rapides pour ceux qui ont oublié d’acheter le sel, le pain et le papier hygiénique. Il suffirait de boycotter ces caisses sans contact humain pour contrarier la stratégie de licenciements. Or, on constate une indifférence coupable. Beaucoup de gens détestent faire les courses et veulent sortir au plus vite. Si les caisses automatiques sont plus rapides, eh bien on y va et on a fait le travail de la caissière ; sans pour autant avoir une réduction du montant du salaire de la caissière remplacée. Il y a donc une absence de solidarité de la plupart des salariés envers leurs camarades de la grande distribution : si ça va plus vite, tant mieux, et peu importe si quatre caissières ont été licenciées pour que je gagne dix minutes à la caisse ! Ça ne saurait étonner personne quand on voit le dédain avec lequel les clients traitent les caissières. Il est désormais habituel de voir les clients tenant leur téléphone d’une main tout en déposant leurs emplettes. Ensuite, ils passent à la caisse sans lâcher le téléphone, sans répondre au salut de la caissière et en remettant leurs achats dans leur chariot avec une seule main (tant pis pour ceux qui attendent derrière). En fait, pour eux, comme pour les dirigeants de la grande distribution, les caissières sont transparentes voire inutiles. Il y a un consensus, une alliance objective entre le patronat et beaucoup de salariés qui oublient leur condition, leur statut quand ils se trouvent, l’espace du temps des courses, en position dominante. Dans ces conditions, avec de tels alliés, la grande distribution a de beaux jours devant elle, malgré les dénégations, les reportages, les dénigrements. Le quotidien montre bien que la classe moyenne inférieure préfère (bien sûr le revenu détermine ce comportement) les supermarchés, regarde d’abord les prix, se fiche de la composition (huile de palme, OGM, abattage des animaux etc.) et affiche son mépris pour les caissières, ses semblables, voire exerce une tyrannie envers elles. « Prolétaires de tous les pays... »

 

 

https://www.techredac.info/Etats-Unis-Amazon-inaugure-le-premier-supermarche-sans-caisses_a1769.html

 

https://www.ouest-france.fr/economie/pourquoi-carrefour-reduit-la-voilure-en-france-5519075

 

http://www.lefigaro.fr/societes/2018/01/22/20005-20180122ARTFIG00371-carrefour-investit-28-milliards-dans-le-digital-et-supprime-2400-postes.php

http://www.nicematin.com/economie/emplois-menaces-a-carrefour-les-magasins-de-proximite-et-les-sieges-regionaux-devraient-etre-touches-201717

http://lvsl.fr/chez-carrefour-le-pere-noel-est-une-ordure

http://www.20minutes.fr/economie/2206947-20180123-carrefour-2400-postes-supprimes-siege-2100-salaries-ex-magasins-dia-sellette#xtor=EPR-182-[welcomemedia]--[article_economie]--

http://www.europe1.fr/economie/carrefour-on-sest-pris-une-claque-on-nous-prend-pour-des-pigeons-3554687

www.nordeclair.fr/130864/article/2018-01-23/carrefour-refonde-son-modele-et-supprime-des-milliers-de-postes-en-france

https://www.humanite.fr/carrefour-solde-lemploi-pour-ses-profits-649259

https://www.humanite.fr/la-grande-distribution-reve-dun-supermarche-sans-caisses-649257

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