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la lanterne de diogène
27 septembre 2017

Alstom - Siemens : qui se souviendra d'Alstom ?

Cette fois, c’est fait ! Depuis le temps qu’ils en rêvaient… D’abord, autrefois, l’inévitable Commission européenne l’avait demandé, trouvant qu’Alstom était trop gros et Siemens pas assez. Le Commissaire Monti avait exigé qu’Alstom cède son TGV à Siemens. Pourquoi le TGV, justement ? Pourquoi pas la construction des métros ou des locomotives ou des autorails régionaux ? Il devait y avoir des arrières-pensées. Ensuite, au gré des difficultés d’Alstom, le projet est revenu sur le tapis. Chaque fois, les ultra-libéraux ont exprimé leur préférence pour cette solution. Alstom a été longtemps un des fleurons de l’industrie française, travaillant en fonction des objectifs fixés par l’État ou directement des commandes de l’État. Alsthom, c’était une branche énergie avec des spécialités liées au nucléaire, c’étaient les chantiers navals et c’était la branche ferroviaire, en pointe puisque co-détenteur du premier record du monde de vitesse sur rail, à 331 km/h en 1957. C’est dire qu’Alstom, filiale de la CGE, n’est pas rien et n’est pas n’importe quoi.

 

Les grands moments d’Alsthom puis Alstom ont été évoqués précédemment :

Alsthom, sans h et sans rien

Des nouvelles du TGV

Regards sur la France en 30 ans de TGV

TGV et démocratie

TGV anniversaire

Quatre jours après l'anniversaire du TGV, le 26 septembre 2017 au soir, on apprend que le « rapprochement » entre Siemens et Alstom est avalisé et qu’un accord a été trouvé pour que Fincantieri prenne une participation majoritaire dans le capitale de STX, les anciens Chantiers de l’Atlantique. Autrement dit, le même soir, deux pans énormes de l’industrie française qui ont été tous deux dans le giron d’Alsthom, sont cédés à leur concurrent direct.

http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/coquille-chantiers-navals-stx-l-accord-qui-met-fin-a-la-crise-avec-l-italie_1947183.html

 

Les médias, comme toujours, étalent la richesse de leur vocabulaire pour enfumer l’opinion. Ils sont aidés par le fait que, le grand public est totalement ignorant des questions de transport et donc à même de gober n’importe quoi. Les journalistes n’en savent pas davantage et se fient, comme d’habitude, aux dossiers de presse où ils trouvent ce qu’il convient de dire.

Ainsi, le lendemain, on entend que « le nouveau groupe devient le numéro 2 mondial ». Première baliverne (pour ne pas dire autre chose mais il n’y a pas volonté de tromperie chez les journalistes) : Alstom est déjà le numéro 2 mondial de la construction ferroviaire loin devant Siemens qui n’a jamais pu faire mieux que numéro 3. Ce qu’il faut dire, c’est que le « rapprochement » permet à Siemens de devenir le numéro 2 aux dépens d’Alstom.

 

On entend aussi que « le TGV devient franco-allemand ». La comparaison avec Airbus ne tient pas.

http://www.ville-rail-transports.com/lettre-confidentielle/alstom-siemens-airbus/

 

Nous reviendrons sur les produits phares des deux groupes plus loin. Pour le moment, voyons ce que signifie cette expression. Là encore, pour appâter tous les euro - béats et quelques indécis, on nous ressort le coup de l’Airbus. Chaque fois qu’il est question d’Europe, on nous balance l’Airbus en omettant de préciser que les États membres n’étaient pas dans la Communauté Européenne au moment de la fondation d’Airbus (à part la France et l’Allemagne, naturellement) et que certains (comme les suisses) n’y sont toujours pas. De plus, Airbus est la preuve vivante que pour réussir, il faut l’implication directe des États et pas un tour de table de financiers prêts à partir au moindre revers. Le succès se construit dans le temps mais une entreprise n’a pas forcément le temps au contraire de l’État qui demeure malgré les vicissitudes. Comme ce qui tient lieu de politique tient dans la formule « il faut faire des économies », l’État français se désengage et advienne que pourra.

 

Le soi-disant « rapprochement » apparaît pour ce qu’il est : une habileté de communication pour ne pas avouer au grand public qu’un des derniers fleurons de l’industrie française est cédé à son concurrent allemand qui, malgré son excellence et son agressivité commerciale, n’a jamais pu faire mieux que rester numéro 3 mondial derrière Alstom, justement, et le géant germano-canadien Bombardier qui a absorbé AD Tranz (consortium mené par Daimler). Airbus est né de la volonté conjointe de l’Allemagne et de la France de mutualiser leurs capacités dans le domaine de l’aéronautique. Au départ, il y a bien la volonté de deux États, les deux principaux de la Communauté Européenne. S’y sont agrégés, rapidement, les autres puissances européennes et leurs industries locales et notamment l’espagnole CASA. Chaque pays partenaire (on ne parlait pas de « concurrence libre et non-faussée ») apportant selon ses possibilités. Le résultat est un succès jamais démenti.

 

Qui se souvient de Péchiney ?

 

Alstom-Siemens résulte du retrait de l’actionnaire de référence, à savoir le groupe Bouygues qui, après avoir lâché la division « énergie » d’Alstom à General Electric – son principal concurrent qui a pu mettre la main sur les brevets et les techniques d’Alstom – en fait autant avec la branche ferroviaire. Inutile de rappeler que, chaque fois qu’un « rapprochement » s’est opéré, dans le passé, entre un fleuron de l’industrie française et son principal concurrent, voire son challenger, étranger, l’entreprise et son nom ont disparu rapidement.

Chaque fois, on a entendu les mêmes commentaires dithyrambiques. Chaque fois l’enthousiasme des médias et des pouvoirs publics n’a eu d’égal que le fiasco qui n’a pas tardé à suivre. Les mêmes mots, les mêmes balivernes : « l’ensemble va donner naissance au numéro 1 (ou 2 ou 3…) mondial », « le nouveau groupe pèsera (tant) sur le marché mondial », « le groupe français aura ainsi accès au marché américain (ou mondial) ». Nouvel argument imparable : le péril jaune ! « En se rapprochant de (…) le nouveau groupe pourra lutter contre le géant chinois du secteur ».

 

Que ne devait pas faire Alcatel (un temps allié à Alsthom) en se « rapprochant » de Lucent ! Le nouveau groupe a fait tant et si bien qu’il a été absorbé par Nokia. Dans le cas de la branche agricole de Renault, le groupe allemand Claas avait promis de maintenir l’emploi, les sites, la production en France et même la marque pour le marché français. Promesse d’Allemand : un an après le nom de Renault disparaissait. Rhône-Poulenc a été démantelé, comme Thomson, EDF-GDF, Renault, et tant d’autres fleurons de l’industrie française. La branche chimie de RP devenue Rhodia n’est plus qu’un acteur local et la branche pharmacie a « fusionné » avec Sanofi. « Fusionner » est un autre euphémisme pour ne pas avouer que l’entreprise française a été avalée par son concurrent. Notons que dans le cas de Rhône-Poulenc, d’Alcatel, de Thomson, de Peugeot, d’Alstom, c’est un concurrent de taille moindre qui prend le contrôle.

Qui se souvient de Péchiney – Ugine-Kuhlmann ? Un géant de l’acier et de la chimie qui, après avoir été renfloué par l’État (le privé, comme d’hab se retire quand ça va mal) a été démantelé comme toute la chimie française. La branche acier a été absorbée par Alcan et le nom a disparu. Pourtant, là encore, le groupe Péchiney-Alcan devait donner naissance à un géant qui etc. etc.

 

 

Venons-en aux produits phares des deux groupes car, contrairement à ce qu’on entend, le TGV ne devient pas « franco-allemand » et il y a des chances pour qu’il ne devienne plus rien du tout. En effet, si les deux groupes sont concurrents, c’est bien parce qu’ils s’affrontent sur les marchés et proposent des produits qui ont chacun leurs avantages.

 

world-speed-record-TGV-1981

Siemens a attendu de voir ce qu’allait donner le TGV d’Alsthom et du consortium Francorail-MTE. Les études pour aboutir au TGV, elles, ont été menées par la SNCF, autrement dit l’État français et l’argent des contribuables. Aucune entreprise privée n’aurait financé de telles recherches dans un domaine de transport qu’on disait voué à disparaître à terme lorsqu’elles ont été lancées. Le succès du TGV, c’est d’abord le succès de la politique française des années 1960 faite d’une volonté politique (le plan) et d’un tissu industriel d’excellence construit et reconstruit après la deuxième guerre mondiale. C’est justement ce modèle économique qui est combattu aujourd’hui, en raison de ses succès, alors que son contre-pied ne produit que des résultats financiers mirobolants et un chômage de masse couplé à une délocalisation qui sème la misère dans les anciennes puissances industrielles européennes et répand des miettes dans les pays pauvres. Il est donc fondamental pour la survie du système d’effacer le souvenir des succès passés obtenus avec des méthodes inverses de celles promues aujourd’hui. La méthode consistant à effacer des événements est caractéristique des totalitarismes. D’où l’antienne répétée ici-même : l’ultra-libéralisme est un totalitarisme.

 

Siemens, donc, s’est lancé, à son tour, dans la construction d’un train à très grande vitesse après avoir constaté le succès remarquable du TGV des Français. Ils ont repris le concept d’autorail mais en pensant, au départ, le faire circuler sur les voies existantes. Rapidement, la cohabitation des trains à grandes vitesse avec les trains normaux s’est révélée impossible et l’Allemagne a dû construire, à son tour, des voies spéciales. C’est ainsi que Siemens a pu développer le Velaro sur les relations ICE. Est-ce que Siemens peut se permettre de conserver sur son catalogue deux produits concurrents ?

 

Quelle est la situation actuelle ? Ne prenons qu’un exemple connu : les rames qui circulent sous la Manche. Alstom a remporté le marché des premiers trains à grande vitesse entre le continent et l’Angleterre. Quand il a fallu renouveler les rames, c’est le Velaro de Siemens qui a été choisi, au grand dam d’Alstom dont l’actionnaire de référence, comme à son habitude, chaque fois qu’il perd un marché, a porté l’affaire devant les tribunaux.

http://www.usinenouvelle.com/article/eurostar-alstom-a-nouveau-deboute-face-a-siemens.N155862

 

uk-electric-train

Toujours est-il que ce sont bien des Velaro de Siemens qui circulent sous la Manche à présent. C’est qu’entre temps, le TGV a vieilli. Même les dernières versions sont aujourd’hui largement dépassées. D’ailleurs, le grand public a pris l’habitude de nommer « TGV » tous les trains à très grande vitesse. Quand un nom propre devient un nom commun, ça veut généralement (mais pas toujours) dire que le produit de départ était bon et qu’il est devenu emblématique. Faut-il rappeler « Frigidaire » ? Or, « TGV » est une marque déposée de la SNCF et désigne, un type de relations (comme « omnibus » ou « rapide » à l’époque) mais aussi le train lui-même. Ainsi, Alstom, le constructeur, ne peut-il pas vendre de « TGV » puisque le nom ne lui appartient pas. Les rares succès commerciaux du TGV à l’étranger l’ont été avec un nom adapté au pays acheteur. Alstom n’est pas resté bras croisés. En 2012, il a commencé à livrer des rames de son AGV (Autorail à Grande Vitesse) à la compagnie italienne NTV (détenue en partie par la SNCF pour concurrencer son ancien partenaire italien des FS devenus Trenitalia). En d’autres termes, il existe un train à très grande vitesse produit par Alstom et concurrent direct du Velaro de Siemens. Ce train, d’abord appelé AGV a pris le nom commercial d’Avelia avec lequel il vient de remporter le marché de la liaison entre Boston et Washington.

http://www.usinenouvelle.com/article/l-avelia-liberty-le-nouveau-tgv-d-alstom-qui-seduit-les-etats-unis.N430002

http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/20120507trib000697322/la-coree-du-sud-defie-alstom-en-lancant-un-nouveau-tgv-.html

 

070526_ICE___TGV_Paris_petit

On imagine mal la nouvelle maison-mère, Siemens, renoncer à son produit phare, fort de ses succès commerciaux, au profit du train construit par les Français car, si l’expression « patriotisme économique » fait rire ici, il n’est pas un vain mot en Allemagne et ailleurs. Les Canadiens de Bombardier l’ont bien compris puisqu’ils ont transféré le siège de leur division ferroviaire à Berlin. On voit mal Siemens à Saint-Ouen malgré l’annonce que le siège restera à Paris. On n’ose même pas dire Saint-Ouen. D’autant plus que la SNCF a singulièrement accéléré la suppression de ses relations et que le marché français diminue. L’accord signé engage Siemens sur quatre ans. C’est très peu quand on sait le temps qu’il faut pour construire une rame et, à plus forte raison une flotte, de TGV pour honorer une commande. Pas besoin d’être grand clerc pour deviner que, dans quatre ans, les usines françaises du nouveau groupe vont fermer mais qu’on nous annoncera qu’à la place, le nouveau groupe va investir une somme mirobolante pour un centre d’études en France et que le nouveau groupe prendra le nom de Siemens tout court. Encore une fois, l’exemple de Claas nous éclaire et Siemens a l’habitude de ne pas conserver les marques prestigieuses qui l’ont constitué : Krauss-Maffei et Matra. D’ailleurs, Alstom a fait de même et la liste de ses sous-traitants et concurrents finalement absorbés est beaucoup plus longue encore.

https://www.tradingsat.com/alstom-FR0010220475/actualites/alstom-ferroviaire-siemens-choisira-alstom-ou-bombardier-760945.html

https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/un-accord-siemens-alstom-pourrait-etre-annonce-mardi-presse-1707221.php

https://investir.lesechos.fr/actions/recos-analystes/alstom-baisse-en-bourse-apres-l-offre-de-siemens-et-mitsubishi-980277.php

 

Alstom-Siemens :les forces en présence

On peut lire, ici ou là, que Siemens est aussi en négociation avec Bombardier. Il serait surprenant que la Commission européenne, soucieuse de la « concurrence libre et non-faussée » permette aux deux groupes de fusionner ; ce qui ne laisserait aucune place aux autres. Comme indiqué plus haut, Bombardier est déjà le résultat de la fusion de Bombardier et d’AD-Tranz qui était déjà un consortium de taille internationale mené par Daimler mais qui comportait aussi ABB et AEG. Dans la passé, la Commission européenne s’était déjà émue de la taille trop grande à son goût du numéro 2 mondial de la construction ferroviaire, le Français Alstom, et avait exigé qu’il cède son TGV à … Siemens.

En mettant la main sur la division ferroviaire du groupe FIAT, Alstom a surtout mis la main sur la technologie pendulaire qui est exportée dans une vingtaine de pays du monde. La pendulation des rames permet au train de gagner en vitesse dans les courbes. C’est particulièrement intéressant dans des pays où il y a du relief : le train peut ainsi gagner du temps, sans obliger à construire de ruineuses nouvelles voies pour la grande vitesse, et d’améliorer le confort. Or, depuis des décennies, la SNCF a toujours marqué sa méfiance puis son hostilité. D’autant que l’ancêtre du Velaro de Siemens était apte à recevoir la technologie pendulaire de FIAT pour les clients qui le souhaitaient, afin de remporter les marchés face à… Alsthom.

Néanmoins, Alstom s’est assuré une rente confortable avec ses trains pendulaires et peut donc se permettre de délaisser le TGV qui ne se vend pas ailleurs qu’en France. L’Espagne, a acheté à Alstom ses premiers TAV (tgv en espagnol) mais pas les suivants qui sont des Velaro et des Talgo (en association avec Bombardier ou Siemens…). Le problème, c’est que les trains pendulaires sont toujours construits en Italie dans les anciennes usines Fiat. Devant ses échecs en Espagne, Alstom a revendu les unités de fabrication acquises pour le TAV. En d’autres termes, le succès américain de l’Avelia sera sans lendemain à moins (et encore) de faire la démonstration de sa supériorité sur le Velaro.

 

Ça paraît assez compliqué mais la construction ferroviaire est lourde et obéit plus au pragmatisme qu’au dogme de la « concurrence libre et non-faussée ». Pendant des décennies, le partenaire privilégie d’Alstom et des anciennes sociétés qui ont rejoint le consortium français était Bombardier, particulièrement pour les marchés remportés par l’industrie française sur le continent américain. Le TAV espagnol est bien un TGV mais la signalisation est assurée par Siemens. Le Gouvernement francophile espagnol de l’époque avait voulu contenter aussi la technologie allemande au moment de commander ses nouveaux trains qui allaient faire entrer son pays dans le monde moderne. Eh oui, le train est la vitrine d’un pays.

Pour Taïwan, on a constitué une rame de TGV-duplex encadrée de motrices Siemens. Dans le domaine de la construction ferroviaire, il n’est pas rare qu’une usine construise tout ou partie des modèles de ses concurrents. On préfère produire sur place d’autant que la plupart des clients l’exigent pour maintenir les emplois chez eux.

http://www.trains-europe.fr/sncf/tgv/eurotrain.htm

D’où vient Siemens ? Son siège se trouve à Munich, autrement-dit dans les locaux de Krauss-Maffei, qui a abandonné son activité ferroviaire à Siemens. Sa place de numéro 3 mondial est notamment due au rachat de Matra-transport quand son nouveau PDG, M. Arnaud Lagardère, a décidé de se recentrer sur les médias et l’édition plutôt que l’industrie. En mettant la main sur Matra-transports, Siemens profite du VAL, métro léger automatique qui était un autre succès commercial.

En fait, Siemens s’apprête à faire avec Alstom ce qu’elle a fait avec les deux société citées et ce qu’Alstom a fait avec ses dizaines de partenaires, concurrents et autres équipementiers absorbés au fil des décennies.

Belfort

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