Travailler en Ethiopie

Cette information a suscité des commentaire indignés. Ils sont mérités mais, finalement, pas si nombreux. On n'en parle déjà plus. L'auteur de ce blog avait, autrefois, averti son auditoire qu'un jour, lorsque les Chinois obtiendraient des salaires décents, les grandes sociétés qui s'implantaient en Chine à la recherche d'une main d’œuvre bon marché et strictement encadrée par un régime policier efficace se rabattraient sur des pays encore meilleurs marché et pour plus longtemps. Je citais alors le Cambodge, le Viet-Nâm et, surtout, le Bangladesh. Comme l'Internet balbutiait à l'époque, il n'y a aucune trace de mes prédictions. Qu'importe, nous y sommes.

Or, l'incendie dans une usine textile du Bangladesh, outre l'image déplorable qu'elle donne aux marques qui font fabriquer à très bas coût leurs vêtements vendus dans les pays industrialisés, laisse prévoir des changements. On peut penser que des normes de sécurité et d'hygiène vont être imposées dans les usines locales et que, par conséquent, le coût de fabrication va augmenter. Qu'à cela ne tienne, le monde est assez grand et la pauvreté plutôt bien répandue. Les dirigeants d'H&M ont trouvé un pays qui possède une activité textile intéressante et donc du personnel déjà qualifié. Qualifié ou non importe peu, d'ailleurs, puisqu'on leur demandera juste d'exécuter et de ne pas être trop gourmands.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/923464-h-m-s-installe-en-ethiopie-le-but-produire-moins-cher-mais-surtout-plus-rapidement.html

Bouffée d'oxygène pour ce pays enclavé que la famine, puis la dictature, puis les guerres ont fait dégringoler parmi les plus pauvres du monde. Or, ce pays qui a toujours été indépendant, qui a valeureusement lutté contre l'invasion italienne (dans son rêve de constituer un empire colonial), a été le fer de lance du panafricanisme. Addis Abeba a abrité l'assemblée constitutive de l'OUA et le négus, du temps de sa splendeur, appartenait au mouvement des non-alignés. L'Abyssinie a donné au mouvement panafricain tout entier ses trois couleurs, reprises par la plupart des drapeaux africains et la mouvance rasta. Il remonte peu à peu la pente et cette arrivée de capitaux qui va fournir du travail un peu mieux payé que l'artisanat local va donner à ce pays des moyens.

Seulement, on sait comment ça se passe sur ce continent où tant de monde vit sous le seuil de pauvreté. Cet appel d'air va provoquer un afflux d'immigrés, attirés par ce nouvel eldorado. Or, contrairement à nos pays industrialisés, l’Éthiopie et tant d'autres pays ne peut faire face à une augmentation subite de population étrangère, que ce soient des réfugiés ou des immigrés. Enclavée, l’Éthiopie est donc très entourée. Regardons : Érythrée, Djibouti, Somaliland, Somalie, Kenya, Soudan du Sud et Soudan. Que du beau monde ! Le Soudan du Sud est en pleine construction après des décennies de guerre. La manne pétrolière devrait l'aider mais ça ne fait pas tout. Le Soudan était justement en guerre contre les Noirs sécessionnistes du Sud et vient de perdre ses puits de pétrole. L’Érythrée rêve d'en découdre, encore une fois, avec son ancien État central. Le Somaliland n'est pas reconnu par la communauté internationale qui préfère le chaos et l'absence d’État proprement dit dans la Somalie voisine en proie aux factions armées et aux islamistes ainsi qu'aux pirates sur la mer. Autant de populations qui subissent les crises et les famines du fait des seigneurs de guerre qui, depuis des siècles sèment la désolation et l'horreur dans l'est de l'Afrique.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/06/13/2079694.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/04/04/13264449.html

Qu'une industrie moderne, même payant mal ses ouvriers, vienne à s'installer à quelques centaines de kilomètres de là, et ce sera la ruée. Les humains ont toujours réagi à la moindre rumeur d'un mieux. Steinbeck a écrit des livres là-dessus. Pays immense, dépourvu d'infrastructures à la mesure, capitale construite dans l'urgence (ainsi que la plupart des grandes villes du continent), l’Éthiopie est déjà le théâtre d'affrontements entre les différentes ethnies qui la composent et, surtout, entre les bandes armées. Le chemin de fer (construit en son temps par la France) a fermé son trafic de voyageurs à cause de ça. L'armée est toute occupée à éviter les incursions de bandes islamistes dans l'Ogaden.

La population locale a déjà du mal à joindre les deux bouts, à trouver du travail, à se loger correctement. Si des contingents d'immigrés arrivent et prennent les boulots mal payés et s'entassent dans des bidonvilles, les locaux auront, comme partout, le sentiment qu'ils leur volent leur travail et leur prennent leurs maisons. Inutile de s’appesantir sur les réactions prévisibles. Qu'importe, H&M ira s'installer ailleurs ou retournera en Chine où, au moins, l'ordre règne.

Si l'on ajoute les travaux du barrage sur le Nil qui va priver le Soudan et, forcément, l’Égypte de son artère vitale, il est facile d'avancer qu'on n'a pas fini de parler de l’Éthiopie dans les mois qui viennent.