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la lanterne de diogène
19 janvier 2014

Décentralisation et démocratie

Et voici qu'on reparle de fusionner des régions et même des départements. Le département semble déjà mort tant on s'acharne sur lui. Les dénégations du chef de l’État ne sauraient nous tromper. Au mieux, c'est un avis personnel qui pourra être contré sitôt qu'il ne sera plus aux affaires. Plus probablement, il en sera du Département comme de sa volonté de lutter contre la finance. D'une manière générale, on dirait que la France qui a éclairé le monde pendant ces deux derniers siècles avec l'esprit des Lumières et la Révolution, s'ingénie à faire oublier toute trace de ce prestige universel. Désormais, les Français ne retiennent de leur Histoire que les pages sombres, les guerres, la colonisation et le recours récent à l'immigration. Les Français, à l'arrogance proverbiale, semblent vouloir raser les murs et faire oublier une Histoire qui attire pourtant des millions d'étrangers chaque année, tant pour visiter que pour s'y installer. Donc, les départements vivent leurs dernières années. Ça se fera probablement très vite dès lors que ce sera lancé. On n'aura pas le temps de l'apprendre que ce sera déjà fait.

 

Votre serviteur, sans doute influencé par les mouvements régionalistes et les chanteurs qui les portaient, s'intéressait à ces questions dès les années lycée. C'est dire que je connais un peu le sujet. J'imaginais déjà des grandes régions, tant qu'à faire des ensembles administratifs. Évidemment, il en serait tout autrement s'il s'agissait de constituer des regroupements culturels. C'est une des raisons pour lesquels la culture sera toujours écartée de la régionalisation à la française. Justement, c'est un acquis fort de la Révolution, qui consiste à privilégier, dans l'appellation, la géographie plutôt que l'Histoire. À l'époque, il fallait marquer fortement la rupture avec l'ancien régime et faire oublier les noms de fiefs et autres comtés ou duchés. Au siècle dernier, les tentatives sanguinaires menées en Europe pour regrouper les peuples sur des bases culturelles et linguistiques ont définitivement discrédité les prétentions régionalistes qui ont resurgi, dans les années 1970. Les départements font tous référence à la géographie, au risque d'être tiré par les cheveux ou carrément ridicule. Les sommets semblent avoir été atteints avec les derniers départements créés, à savoir ceux de l'Île de France. « Hauts-de-Seine » ? Kézako ? « L'Essonne » ? un ruisselet qui donne son nom à un département. Quant au 93, on a dû chercher un ruisselet ou un monticule improbable avant de mélanger l'ancien nom du département et de lui accoler le nom de la ville la plus prestigieuse de la région, après la capitale, évidemment. Je ris d'avance en imaginant quel nom sera donné au nouveau département constitué des deux départements ultra-bourgeois et ultra-conservateurs des Hauts-de-Seine, justement, et des Yvelines. Et où vont-ils mettre le chef-lieu ? Versailles, probablement ; ce qui nous ramènerait avant la création de la ville nouvelle de Saint-Quentin. D'ailleurs, cette ville n'existe que dans l'imagination puisqu'il s'agit, en fait, d'un regroupement de communes et que la plupart des administrations sont toujours à Versailles. Nous y reviendrons. Nul doute que Nanterre mènera un guerre de tranchées pour garder sa tête. Ça promet de belles empoignades ; à moins qu'on n'ait préparé les cerveaux en assenant que la situation actuelle coûte très cher, qu'on paiera moins d'impôts si on le fait ou qu'un choc ne vienne forcer la main. Qu'on se souvienne comment la droite a eu la peau de l'ORTF pendant l'été 1974 ! La gauche, pardon, le PS, pourrait bien s'y essayer et avec le même succès.

 

En fait, toute la politique de décentralisation depuis un peu plus de vingt ans a consisté à créer des formules pour regrouper les communes. C'est ce qu'on appelle le « mille-feuilles ». On a eu les « Pays », et tous les autres cadres de ce qu'on appelle plus, désormais, que « intercommunalité ». Le dernier s'appelle « Métropole ». L'idée consiste à mettre sous une autorité unique un ensemble de villes et de forcer celles qui sont entre, à les rejoindre. Paris-métropole irait ainsi jusqu'au Havre en englobant au passage Rouen et toutes les villes et villages le long de la Seine. Dès l'annonce, ces jours-ci, on a fait remarquer que Lyon occupe déjà le périmètre du département du Rhône. C'est sûr que si la troisième ville de France avale son propre département, ça va donner des idées aux autres et faire effet de dominos. Pour Marseille, ça coince. Aix ne veut pas rejoindre un tel ensemble et entend plutôt garder son caractère de grande ville provinciale, tranquille et bourgeoise, loin de la technocratie et de l'agitation des très grandes villes. Marseille, au contraire, veut briser son image et voudrait devenir la première ville de la Méditerranée. Elle pense qu'en hérissant le front de mer de tours de verre, façon Manhattan, et en rejetant plus loin sa population à problème, elle y parviendra. Toute l'énergie du maire actuelle a été dirigée pour lancer puis accélérer la gentrification. C'est Barcelone et même Valence qui doivent rire si, toutefois, le sujet les intéresse. C'est sûr que passer du centralisme jacobin et parisien à un centralisme autour des très grandes villes et, en redescendant, des grandes et moyennes villes, le progrès n'est pas significatif. Au contraire, on passe d'un centralisme contrôlé par des élus et des administrations à un centralisme de second ordre entre les mains des potentats locaux ou des intérêts particuliers locaux. On nous fait croire qu'il vaut mieux que les décisions soient prises sur place. Certes, l'argument tombe sous le sens. Dans le faits, on voit plutôt le fait du prince ou plutôt du duc voire du simple baronnet qui se donne ainsi une importance qu'il n'aurait pas. Comme disait déjà Jules (César) : « mieux vaut être le premier ici que le deuxième à Rome ».

 

Cette affaire de « Métropoles » correspond tout à fait à la façon de faire en France. Les soi-disant « villes nouvelles » sont en fait des regroupements de communes qui n'ont même pas le même code postal et encore moins le même code INSEE. Le port de Marseille s'étend sur plusieurs communes. Il est, certes le premier de Méditerranée mais, partout ailleurs, le port est dans une ville unique (la ville s'est construite puis agrandie autour du port). Rotterdam, qui a été longtemps le premier port d'Europe (voire du monde), est une ville unique. Ces « Métropoles » obéissent au même schéma. On peut donc penser qu'il en conservera les caractéristiques bâtardes et les faiblesses. En tout cas, on peut raisonnablement parier qu'on sera loin du modèle étatsunien qui nous est présenté pour le faire accepter. Et puis, quand on voit comment vivent agglutinés les habitants de ces mégalopoles, on hésite à vouloir en faire autant ici. Est-ce l'idéal que de vouloir transformer la vallée de la Seine en mégalopole, tout en imposant – n'en doutons pas – des espaces préservés, par exemple quelques méandres vers La Roche-Guyon ou les Andelys ?

 

Une chose paraît acquise. Quelle que soit la formule choisie, les citoyens seront tenus à l'écart des décisions. Aujourd'hui, les intercommunalités fonctionnent par co-optation. Les présidents sont issus des tractations entre les maires et, une fois élus, ils forment leur gouvernement local. De plus en plus de compétences échappent aux maires au profit de ces intercommunalités. On peut penser qu'il est intelligent et économe de mutualiser les moyens. Ça peut s'appeler la coopération. Certes, mais, chaque fois, ce sont les citoyens qui voient leur glisser des doigts le pouvoir démocratique. Ils votent pour un maire qui a de moins en moins de pouvoir et de compétences. Tout est décidé au-dessus et dans leurs dos. Au fait, ça te rappelle rien ? Eh oui, les chefs d’États européens ! Depuis à peu près la même période, leur pouvoir s'étiole. La droite et le centre-gauche alternent joyeusement pour appliquer des directives et autres recommandations qui émanent de structures essentiellement illégitimes. Tout le monde pense, évidemment, à la Commission Européenne mais elle n'est pas la seule à faire appliquer des règles favorables à la grande finance internationale et aux plus grandes sociétés multinationales. Les citoyens l'ont bien compris qui se déplacent de moins en moins pour voter. Or, justement, les municipales les intéressent encore. Qu'à cela ne tienne ! Au cours de leur prochain mandat – celui qui commencera fin mars 2014 – les maires perdront encore plus de pouvoir et devront appliquer, avec ce qui leur en restera, des décisions impopulaires et contraires au mandat qui leur aura été confié par les électeurs (comme dans l'UE). Gageons qu'on ira moins voter dans six ans. De là à supprimer carrément les élections, il n'y a qu'un pas qui sera franchi tôt ou tard. On nous dira que ça coûte cher et qu'il faut diminuer les dépenses de l’État et des collectivité locales. On nous dira que les élections sont un archaïsme issu de la Révolution, avec la centralisation, la laïcité, l'égalité des droits, la protection sociale etc. Quand on fera rire avec la démocratie, le tour sera joué. On a déjà commencé avec quelques uns de ses avatars cités. On brûlerait les étapes en se moquant tout de suite de l'idée de démocratie.

 

Déjà, on rappelle, avec un brin que moquerie, que le « Département », a été créé par la Révolution pour que chaque citoyen puisse se rendre dans son chef-lieu en une journée de cheval. Comme il n'y a plus de chevaux, on nous impose de comprendre qu'il faut envoyer le Département là où sont déjà les chevaux. En plus, ça fait référence à une France essentiellement rurale, donc tout à fait disqualifiée. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus (puisque les chevaux ne courent plus nos routes depuis belle lurette mais que le Département tient son rôle), on affirme qu'il y a concurrence et autre doublon avec la Région. Depuis des lustres, on nous bassine avec « le binôme (mot très à la mode) Europe-Région. On va finir par y arriver. En fait, les technocrates de tout poil rêvent d'un continent où les décisions seraient prises au niveau européen mais sans que les citoyens aient leur mot à dire. Si l'on devait encore écouter les desiderata des gens, où irions-nous ? Quant au niveau local, de vastes régions à la botte pour relayer les directives européennes feraient l'affaire.

 

Et puis, tant qu'à faire, puisqu'on en est là, supprimons carrément les États. D'ailleurs, les États dépensent trop. On est arrivé à imposer qu'ils soumettent leurs budgets à la Commission Européenne. L'étape suivante, en bonne logique, c'est la suppression de l’État puisqu'il dépense trop et qu'il ne servira plus à rien. Les exécutifs régionaux pourront fort bien se charger d'imposer les directives européennes. En poussant à la suppression de toute référence nationale au profit d'un « made in Europe », la Commission Européenne montre clairement quel est son but. La suppression du Département retire nombre d'élus et, par conséquent, autant de moyens de contrôler les décisions. Pour achever de convaincre les braves gens, on rappellera,de temps en temps, que tous ces élus coûtent cher aux ménages qui ne voient pas toujours bien à quoi ils servent. Avec la suppression du Département, c'est bien la mort de l’État-Nation qui se profile.

 

La mise de ce sujet sur le devant de l'actualité m'a permis de prendre connaissance d'un article http://lucien-pons.over-blog.com/article-le-de-mante-lement-des-etats-par-les-euro-re-gions-122119862.html

 

qui tend à démontrer que le « binôme Europe-Région » n'a d'autre but que de diviser pour régner. Avec la suppression des États-Nations, la Commission Européenne aura la coudées franches pour imposer aux roitelets régionaux des législations essentiellement défavorables au bien-être des citoyens avec, notamment, la suppression de contraintes environnementales et sanitaires dont les premiers avatars seront la fin de la traçabilité alimentaire et l'indication de l'origine et des additifs des aliments. Il en est question mais ça se heurte aux associations consuméristes et aux producteurs labellisés ; pour combien de temps encore ? Le TAFTA viendra à temps pour balayer tout ça. http://www.informaction.info/24122013-0938-Les-10-bonnes-raisons-de-stopper-TAFTA-consommation-multinationales-%C3%A9conomie-projet-de-soci%C3%A9t%C3%A9-gouvernance-mouvements-sociaux-probl%C3%A9matique

 

 

J'avais déploré, ici même, que suite aux travaux intéressants de la commission Balladur, on n'ait rien retenu de ces travaux mais que, au contraire, on se soit appuyé sur ces travaux pour imposer la fusion des Conseils Régionaux et Départementaux, avec, en ligne de mire, la suppression des départements puisque cette structure n'aurait plus de représentation.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/02/26/12725785.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/03/02/12788046.html

 

En revanche, personne n'envisage jamais la suppression des sous-préfectures. On a supprimé nombre de tribunaux de proximité pour tout regrouper au niveau du chef-lieu de département, alors qu'il existe un véritable besoin de cette proximité. À l'heure où les cartes d'identité se font à la mairie, le public n'a plus besoin d'une sous-préfecture, d'autant que, un peu partout, des « guichets uniques » ont été créés pour regrouper les services dont chacun (surtout les plus modestes et ceux qui ne disposent pas de facilité de déplacement) a besoin et, souvent, dans l'urgence. Or, qui dit sous-préfecture, dit sous-préfet avec logement et voiture de fonction. Tout ça pour quelqu'un dont le rôle est des plus indigents puisque, de toute façon, quand survient un événement grave dans son ressort, c'est le préfet lui-même qui s'en charge. On devrait plutôt envisager la création d'un véritable corps de préfets de région ; poste actuellement cumulé avec celui du département chef-lieu. À terme, l’État pourrait très bien n'être représenté ou relayé que par un préfet de région secondé par des préfets de police là où la situation justifie cette délégation. Pour le coup, on pourrait parler d'économies dans le budget de l’État sans que le service rendu aux citoyen en soit affecté. Ce serait trop simple.

 

En attendant, sous couvert d'étendre la « décentralisation », on invente des formules qui s'imposent aux citoyens mais qui leur échappent. Ils subissent les décisions prises par l'intercommunalité et ce qui va être mis en place dans les mois et les années qui viennent ; et je ne parle pas de la fiscalité qui en découle et qui accable de plus en plus les ménages. En l'occurrence, les citoyens ne disposeront d'aucun moyen de censure ni de sanction puisque ces instances locales ne seront pas élues. Les maires auront beau jeu,, ou déploreront sincèrement, de ne pouvoir rien faire. Ils objecteront que ce n'est plus de leur ressort mais de celui de l'intercommunalité ou de je-ne-sais-quoi qui va sortir bientôt.

Cela va faire tout drôle aux Français qui avaient l'habitude de tout attribuer au maire ou « à la mairie » pour peu que tel service soit hébergé dans le bâtiment communal. Cette fois, c'est fini et bien fini.

 

Silencieusement, le Gouvernement a préparé, depuis sa prise de fonction en 2012, une réforme des cantons et du mode de scrutin pour les prochaines cantonales. Officiellement, on veut favoriser la participation à la vie politique en obligeant chaque nouveau canton à être représenté par un « binôme » (mot à la mode) masculin-féminin. À côté, on voit se redessiner les périmètres des cantons, sans la moindre concertation, bien entendu. Au fait, personne n'a jamais demandé ce type de réforme. Au contraire, des voix se font entendre (mais qui cela intéresse?) pour réclamer la suppression des cantons. Je fais partie de ceux qui voudraient les voir remplacer par les intercommunalités à condition, bien entendu, que les citoyens votent pour les présidents d'intercommunalités et qu'ils siègent en lieu et place des Conseillers Généraux. Comme on veut supprimer les Départements, forcément on supprimera aussi et surtout les CG et leur administration. Tu croyais qu'il fallait prendre les décisions au plus près ? Ce que tu te goures ! Au lieu de prendre les décisions au niveau départemental, on les prendra au niveau régional, voire plus loin si les régions fusionnent.

 

Prenons deux exemples. Dans une région qui fait peu parler d'elle (ignorée par les bulletins météo par exemple) et qui est composée banalement de quatre départements : la Bourgogne. Que des décisions soient prises à Dijon plutôt qu'à Auxerre ou à Mâcon passe encore mais il y aurait déjà beaucoup à redire. Prenons, maintenant, une région fourre-tout comme Rhône-Alpes. Peut-on espérer, quand on habite le sud de l'Ardèche, tourné vers le Languedoc et la Méditerranée, que les problèmes seront traités efficacement ou simplement traités par une administration et un exécutif régional basés à Lyon ? Quel rapport entre une petite commune et même une petite ville du sud de l'Ardèche et son homologue de la Bresse ou de la Savoie ? Imaginons ces mêmes communes dont les affaires seront traitées parmi tant d'autres dans de vastes ensembles régionaux, sans aucun autre échelon de décision. Si l'on peut comprendre que ces régions (découpées à l'origine sous le gouvernement de Vichy pour rationaliser la gestion des personnels administratifs), doivent se regrouper et former des ensembles à vocation continentale, il est indispensable qu'existent, au plus près des citoyens, des structures démocratiques qui prennent en compte les particularités locales et qui soient identifiables et proches des citoyens. Cette structure démocratique de base existe : la commune. Au lieu d'ironiser sur les plus de 36 000 communes de France, on devrait, au contraire, se féliciter de l'héritage de ces communes qui permettent l'exercice de la démocratie au plus près des citoyens. Dans les autres pays, il a fallu inventer des formules pour relayer les besoins. Ici, nous l'avons et, sous couvert d'intercommunalité, on veut les supprimer ou, du moins, réduire leur rôle à néant et garder la commune à titre folklorique.

 

En clair, je pense qu'il faut maintenir et renforcer le rôle des communes qui représentent l'échelon de base de la démocratie. On ne peut pas parler de « démocratie de proximité » et supprimer ce qui existe et qui fonctionne à peu près bien. On ne peut pas parler de « démocratie de proximité » et imposer de nouveaux fonctionnements qui contournent les citoyens. Au contraire, il faut maintenir et renforcer le rôle des départements qui est le véritable échelon supérieur, celui qui peut traiter avec souplesse et rapidité les questions qui se posent à plusieurs communes.

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