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la lanterne de diogène
1 mai 2015

Le prix des ressources humaines - fête du travail ?

L'humain n'est pas parfait, c'est le moins qu'on puisse dire. On pourrait même affirmer carrément qu'il est mauvais et qu'il faut une forte dose de volonté pour ne pas tomber dans les travers que la malice inspire.

 

Parmi les nombreux défauts et autres vices propres (hum?) à l'humain, il y a celui de mépriser tout ce qui ne coûte pas un effort surtout un effort quantifiable en monnaie.

On raconte que, autrefois, plusieurs visiteurs étatsuniens de musées ne comprenaient pas qu'une œuvre d'art soit inestimable et qu'il fallait suggérer un prix pharaonique pour qu'ils les apprécient. Tout a un prix, y compris les humains. C'est l'origine de la corruption qui a, pour ainsi dire, toujours existé, à partir du moment où il a fallu s'organiser et que l'organisation nécessitait un chef. Voyons quelques cas de figure.

 

On commence seulement à énoncer, sous nos latitudes, que la nature nous a tout donné et notamment de quoi manger, boire et construire son habitat. À partir du moment où le commerce est né, il a fallu donner un prix à tout et ce qui restait disponible a fait l'objet de mépris vu que seuls des pauvres ou des attardés s'en servaient. Par extension, on voit comment l'on fait peu de cas des terres arables quand leur prix décuple à partir du moment où elles sont déclarées constructibles. D'ailleurs, pourquoi s'inquiéter de la production d'aliments puisque, grâce à des produits chimiques (donc appréciables) on peut produire plus avec un minimum de terre ? Pourquoi de grandes étendues quand l'agriculture intensive équivaut ? Pourquoi laisser de grandes prairies, des alpages, quand des fermes peuvent concentrer mille vaches ? Dans les années d'expansion (qu'on ne savait pas être « les trente glorieuses »), on retirait les veaux de leurs mères, peu après leur naissance. On leur donnait un lait en poudre tandis que les vaches étaient traites à côté et que leur lait était vendu et qu'une partie revenait sous forme de lait en poudre pour nourrir les veaux. N'aurait-il pas mieux valu laisser les veaux téter ? Non, parce que téter ne rapporte rien à personne tandis que la vente du lait et son retour sous forme de poudre rapporte à chaque étape du transport, de la fabrication, de l'achat et de la vente. À cette époque, il était mal vu pour une jeune mère d'allaiter son bébé. Il fallait couper le lait tout de suite et mettre le nourrisson au biberon puis aux petits-pots. Seules les pauvres, les étrangères, les attardées donnaient le sein. Quantité de gens hésitent à offrir un bouquet cueilli soi-même quand un équivalent acheté fait davantage plaisir. La personne qui le reçoit aurait le sentiment que l'autre n'est qu'un radin.

 

Pour ce qui est des services publics, il en est de même. À partir du moment où l'on paie, même un prix inférieur à celui que coûte le service, on est tenté de le respecter. L'installation de machines à tourniquet pour oblitérer les tickets de métro à la place du fameux « poinçonneur » (des Lilas) coïncide avec le début des dégradations dans le métro ; sans parler des agressions du fait de la disparition dissuasive du personnel. En effet, on peut plus facilement enjamber une machine qu'un portillon manœuvré par un employé qui ne manquerait pas de crier et de désigner le coupable aux yeux de tous. Le métro devenant gratuit pour certains, il n'y a aucune raison de le respecter. On voit cela également avec la CMU où nombre de patients vont consulter pour un bobo ou se permettent de ne pas venir à un rendez-vous, bloquant la place pour les autres. Idem, lorsqu'on a installé des cabines téléphoniques à Dakar. Compte-tenu que peu de gens possédaient une ligne à domicile, on aurait pu penser que ce service inestimable allait avoir du succès. Las, la cabine n'appartenant à personne en particulier, il n'a fallu que peu de jours pour que tout soit cassé. À partir du moment où l'on a mis quelqu'un qui contrôlait les entrées et empochait l'argent de la carte qu'il prêtait aux usagers, les cabines ont tenu le coup.

 

Il y a quelques années, le directeur d'un laboratoire de langues m'avait raconté qu'il avait testé une méthode d'apprentissage du français pour les étrangers auprès de réfugiés polonais. Comme c'était gratuit, ils s'en fichaient, ne faisaient pas d'effort d'apprentissage, n'étaient pas assidus aux séances. À partir du moment où il a instauré une participation de 10 F, les apprenants ont bossé sérieusement. Chacun connaît des exemples de ce type et c'est ce qui fait penser à de plus en plus de monde que l'impôt doit être généralisé, sans aucune exemption, afin que chacun se sente responsable du matériel qu'on met à la disposition de tous.

 

Quand on voit à quel point cette façon de voir les choses en attachant de la valeur seulement à ce qui a un prix, on peut penser qu'il en est de même pour ce qu'on appelle à présent « les ressources humaines ». Notons, au passage, que ce terme est né au moment où l'on a cessé de considérer le travail comme un facteur de production mais comme un coût. Comme disait Jaurès, quand on ne peut changer les choses, on change le nom et ça coûte moins cher que d'améliorer la condition des travailleurs. Il est bien évident qu'on aura moins de scrupules (voire pas du tout) à licencier des salariés mal payés puisque, déjà, ils ne valent pas grand chose. Alors, quand le Président de la République annonce que l'embauche d'un apprenti ne coûtera plus rien aux entrepreneurs puisque ni les cotisations sociales (que le Président appelle des « charges » en reprenant le terme du patronat) ni le salaire ne sortiront des caisses de l'entreprise, on peut s'inquiéter. Comment considérer un employé, même apprenant, à partir du moment où il ne coûte rien ? Déjà, dans la situation ancienne, peu de patrons prenaient la peine d'apprendre le métier aux apprentis et leur faisaient balayer les ateliers ou faire les livraisons. On peut légitimement craindre le pire s'ils ne coûtent plus rien du tout. Et puis, quand on dénonce déjà le recours abusif aux « stagiaires », souvent qualifiés mais exécutant les tâches à moindre coût voire gratuitement, que deviendront les ressources humaines avec cette main d’œuvre gratuite, corvéable à merci, interchangeable et, pour ainsi dire, inépuisable ? Avec les progrès de la mécanisation, de la robotique, de l'informatisation, de l'intelligence artificielle, nombre d'entreprises pourront fonctionner avec un roulement d'apprentis et autres stagiaires encadrés par un agent de maîtrise voire pas du tout. En fait, ça risque d'être bien accepté. Les plaintes existeront mais, compte-tenu du faible taux de syndicalisation et de la mauvaise image que les médias renvoient des syndicats, il n'y pas grand chose à craindre de ce côté-ci. En revanche, ces « apprentis », s'ils sont embauchés en nombre, même avec un renouvellement systématique, sortiront des statistiques de Pôle Emploi. Est-il besoin d'en dire davantage ?

 

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