À la turque

Il n’y a pas que le Blue Rondo  de Dave Brubeck. Quand on dit « à la turque », ça fait allusion à cette forme de sanitaires qui ont précédé les formes modernes, confortables, qui font partie de notre environnement, à tel point qu’on n’imaginerait plus s’équiper « à la turque ».

Il en est de même pour les élections sur notre bon vieux continent. Prenons les élections européennes de ces dernières années. Que d’atermoiements ! Que de temps perdu en vaines expériences ! Certains pays ont cru devoir demander à leurs populations leurs avis sur l’évolution de la Communauté Européenne devenue Union Européenne avec le fameux traité de Maastricht. Balivernes !

Emoi dans les autres capitales quand, à la surprise générale, les électeurs ont voté non à l’Union telle qu’elle leur était présentée. Qu’à cela ne tienne, on a procédé à quelques aménagements de façade et l’on a sommé les Danois, par exemple, de revoter et, bien sûr, de voter oui, cette fois. Que de temps perdu ! Que de palabres ! Quand est arrivé le tour de la France et des Pays-Bas qui, eux aussi, ont voté non, mais au Traité Constitutionnel (TCE), on a préféré ne pas en tenir compte. Mieux, on a rédigé un nouveau traité, sans lui attribuer le qualificatif de «constitutionnel » et on l’a fait adopter  à Lisbonne par les chefs des exécutifs des Etats membres de l’UE. Comme ça, pas de problème.

La Turquie vient de franchir un nouveau pas. Comme le Président de la République turque n’a pas obtenu la majorité lors des élections générales, il a dissout la Chambre et fait revoter, cinq mois plus tard, mais en muselant l’opposition, autrement dit tout ceux qui ne sont pas pour lui. L’armée a pris le contrôle de deux chaines de télévision d’opposition quatre jours avant le scrutin. Tout ça, dans l’indifférence absolue de la communauté internationale. Ah, si ça s’était passé au Vénézuéla, qu’est-ce qu’on aurait entendu ! En Turquie, notre allié le plus sûr au Moyen-Orient mais qui achète le pétrole volé par daech, qui plus est membre de l’Otan, ça passe comme une lettre à la poste. Tout va bien. Rien à signaler.

http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/10/29/ecran-noir-pour-deux-televisions-d-opposition-turques_4799308_3214.html

http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/10/28/turquie-la-police-prend-en-direct-le-controle-de-deux-chaines-de-tele-d-opposition_4798209_3214.html

Le résultat ne s’est pas fait attendre : un plébiscite, un raz-de-marée en faveur du parti dit « islamo-conservateur » du Président Erdogan. Dès le lendemain, la finance internationale a salué ce coup et les valeurs boursières liées à la Turquie se sont appréciées tandis que la livre turque se renforçait.

A l’autre bout du continent européen, le Portugal fait pas mal aussi dans son genre. Une majorité nouvelle sort des urnes mais le Président de la République nomme un Premier Ministre issu de l’ancienne majorité afin d’assurer la continuité de la politique menée ; et refusée par les électeurs, donc. C’est vrai, quoi. Où irions-nous s’il fallait changer de politique chaque fois que les électeurs en décidaient !

http://www.la-croix.com/Actualite/Europe/Au-Portugal-le-tour-de-force-de-la-droite-2015-10-05-1364645

Il est vrai aussi que l’opposition à la droite qui vient de subir un revers n’est pas unie. N’empêche, même sans être tous spécialistes de science politique, les gens comprennent que le résultat de leurs votes n’est plus pris en compte. Ils sont résignés ou dégoûtés de la démocratie, par les coalitions réunissant un parti de droite et un parti de moins en moins social-démocrate, par les gouvernements minoritaires. L’abstention progresse partout. Dans ce contexte, des forces minoritaires, généralement nationalistes ou religieuses émergent et s’apprêtent à prendre le pouvoir petit à petit. Voilà le résultat tangible de tous les dénis de démocratie induits par l’UE.

Cette victoire électorale à la turque va donner des idées. Désormais, avec la martingale consistant à passer outre le résultat d’un vote, on disposera aussi de la possibilité de faire revoter, en encadrant l’opposition, en menant campagne en dehors des créneaux légaux afin de discréditer l’opposition et, mieux, de la ringardiser. Comme ça, on se projette sur du long terme. On est tranquille pour un bout de temps. Assuré de la majorité absolue, l’exécutif pourra même se payer le luxe de faire voter des lois visant à limiter le pouvoir du peuple lors des élections. On n’est jamais trop prudent. Ainsi, « à la turque » va s’instaurer une forme de « démocratie » qui n’en aura plus que le nom vu que le peuple ne sera plus consulté que pour la forme, quand il sera consulté car, n’en doutons pas, il y aura une étape suivante qui fera oublier l’intermède « à la turque » qui vient de se dérouler cet automne. Après le « printemps arabe », vient « l’automne turc » en attendant l’hiver.