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la lanterne de diogène
12 mai 2018

Étudiants -diants -diants !

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On s’était mis à rêver en voyant les étudiants se révolter avec l’arrivée du printemps et surtout du projet de loi qui entérine la sélection à l’université.

La sélection, beaucoup en ont rêvé (tout le monde rêve dans cette histoire) mais finalement, les gouvernements de droite qui avaient lancé l’idée se sont tous ravisés. Tous ont eu peur de voir se reproduire les affrontements de décembre 1986 et la mort d’un jeune.

 

Avec un gouvernement « ni-ni », les choses ne se posent plus de la même façon. Clairement à droite par ses projets, la majorité gouvernementale ne se reconnaît pas dans la lignée de la droite et n’a pas les mêmes peurs. De plus, son maître-mot, sa seule pensée – pour tout dire – se résume à « il faut faire des économies ». Faire des économies, ça veut dire que l’État se retire de tout et abandonne ses prérogatives et ses services aux entreprises privées. Concernant l’université, le problème se pose en d’autres termes. D’abord, il faut rappeler que le baccalauréat est le premier diplôme universitaire et les présidents de jurys sont des professeurs d’université. Les choses sont claires : le baccalauréat donne accès à l’université. Avec l’objectif louable d’avoir 80 % d’une classe d’âge titulaire du baccalauréat, tout a changé parce que, dans ce pays, tous les projets ambitieux, généreux, prestigieux, toutes les ambitions sont pervertis. Avec « La fabrique du crétin », on s’est vite rendu compte qu’on n’avait pas les moyens d’y parvenir. Qu’à cela ne tienne, il suffit d’abaisser la barre et tout le monde peut sauter. L’harmonisation des notes, les barèmes truqués sont quelques uns des moyens mis en œuvre pour obtenir 80 % de bacheliers.

 

Le problème est repoussé. Que faire de tous ces bacheliers ! Déjà, dans les années 1980, passés les plans qui, entre autres réussites, ont permis la construction d’universités modernes et dignes d’un pays comme la France, il n’y avait déjà plus les moyens de la maintenance. Le gros Barre était passé par là et il n’était plus question que l’État dépense pour ses services publics et notamment les transports et l’Éducation nationale. Par conséquent, l’entretien laissait à désirer et le mobilier cassé n’était pas remplacé. Pour assister aux cours, aux TD, il fallait allait chercher des chaises dans les salles où, grâce au décalage horaire, il n’y avait pas cours. Parfois, il fallait chercher des tables. Parfois, il fallait aller à un autre étage. Des professeurs avouaient que dans certains groupes, ils étaient debout, collés contre le tableau auquel ils avaient difficilement accès et avec des étudiants partout, écrivant sur les genoux, assis par terre. Pour les conférences, c’était pareil, en début d’année, les marches étaient occupées ainsi que l’espace entre le premier rang et l’estrade. Parfois, des étudiant étaient assis au bord de l’estrade. Les choses se tassaient en cours d’année avec les découragements et les erreurs d’orientation. Il est facile d’imaginer, avec toujours moins de moyens, la situation en ce début de siècle avec presque 80 % de bacheliers.

Comme il n’est pas question de construire de nouvelles facultés, ni d’agrandir celles qui peuvent encore l’être, reste la sélection à l’entrée puisque le baccalauréat ne remplit plus ce rôle mais est devenu un simple diplôme de fin d’études secondaires.

 

Bien sûr, les étudiants actuels ignorent l’histoire et pensent qu’ils sont les victimes expiatoires d’un système. Certains professeurs leur ont bien dit que leur bac ne veut plus rien dire, que l’orthographe et l’expression sont lamentables, que la culture a disparu depuis longtemps, que seuls comptent le niveau en maths et la maîtrise de l’outil informatique. Rien n’y fait. Les lycéens sont persuadés avoir bossé comme des malades parce qu’ils ont renoncé à quelques heures d’écrans dans la semaine pour réviser, quand leurs parents et surtout leurs grands-parents ne faisaient que ça dès l’arrivée des beaux jours. Néanmoins, leur révolte est légitime. On ne peut pas promettre sans mettre en place les moyens pour tenir les promesses. Les lycéens qui ont le bac réclament à juste titre l’accès à l’université où, d’ailleurs, encouragée par ce qui s’est passé avec le baccalauréat, on envisage d’amener 60 % d’une classe d’âge à la licence. On s’achemine vers des études interminables, des spécialisations qui n’auront d’autre but que de sélectionner des cadres capables de prendre des décisions et des responsabilités. Quand on voit le niveau des députés de la majorité, on imagine aisément ce que seront leurs enfants et comment nous serons gouvernés.

 

Pendant ce temps, toujours rien pour l’apprentissage mais c’est encore un autre problème, d’autant plus difficile à résoudre que les entrepreneurs qui rechignent à embaucher (« les charges, vous comprenez ! »), rechignent à présent à prendre des apprentis et même des stagiaires. Les professeurs principaux de 3e ont de plus en plus de mal à trouver de simples « stages d’observation ». C’est un mal français et il n’est pas près de guérir.

Les étudiants qui ont l’impression d’avoir été trompés ont donc protesté et occupé plusieurs facultés. Comme très souvent, ils ont recours aux piquets de grève afin de sensibiliser les non grévistes. On se plaint assez que la jeunesse n’est plus politisée pour ne pas se réjouir de cette réaction face au projet d’un gouvernement qui fait preuve d’une froideur comptable et d’une insensibilité technocratique qu’on n’avait encore jamais vu à ce stade. Comme on commémore les 50 ans de Mai 68, on se met à rêver que ça pourrait bien recommencer avec, cette fois, des chances de réussite, instruits que nous sommes par les leçons. En fait, on ne retient jamais les leçons de l’Histoire et si les étudiants d’aujourd’hui ont forcément entendu parler de Mai 68, de ses barricades et de ses slogans, ils n’en savent pas plus. Leurs aînés ne savent pas plus de la plupart des événements de l’Histoire contemporaine ni de ce qui se passe dans le monde en ce moment.

 

Quoi qu’il en soit, les examens approchent et, maintenant, les examens ont commencé. Et là, le malaise s’installe quand on est passé par là et qu’on pose un regard adulte et affectueux sur la jeunesse. Quand on a entendu l’exigence de mettre la moyenne à tout le monde voire de mettre 20/20, on commence à imaginer que le chahut a peut-être été impulsé par ceux qui savaient pertinemment qu’ils seraient recalés et qui ont trouvé ce moyen pour s’en sortir par le haut. Quand on est passé par là, on connaît aussi le formule toute faite opposée aux étudiants inquiets à l’idée de voir leur année annulée : alors, pour toi, le diplôme, c’est qu’un bout de papier que tu vas présenter !. Facile à dire et c’est pour ça qu’on le dit toujours.

Toutes les familles n’ont pas les moyens de payer une année d’études supplémentaire, surtout quand il y a d’autres rejetons qui arrivent eux-aussi et à qui il faudra payer des études. Les étudiants n’ont qu’à travailler pour payer leurs études. Facile à dire aussi quand on connaît le marché du travail depuis des dizaines d’années. Et puis, il arrive que le boulot d’étudiant soit tellement prenant que le jeune renonce aux études ou se trouve très bien à gagner de l’argent qu’il peut consacrer à autre chose qu’à des bouquins austères. Ça aussi, c’est une sélection.

 

Puisqu’on parlait de Mai 68 dont l’ombre plane au-dessus des occupations d’universités et de « manifestation pot-au-feu », il faut se rappeler que, à l’époque, les communistes voyaient d’un sale œil ce moment qu’ils n’avaient pas vu venir et surtout qu’ils n’avaient pas impulsé. Ils n’avaient pas de mots assez durs à l’endroit de ces étudiants, fils de bourgeois, qui s’encanaillaient dans un mouvement gauchiste et même anarchiste. D’une manière générale, l’ensemble de la population se montre très réticent devant ces révoltes qui sont le fait des grandes villes et qui sont menés par des individus très éduqués.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2013/07/15/27643754.html

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On peut penser qu’il faut des têtes pensantes et que c’est comme ça que le progrès poursuit sa marche mais, à l’inverse, force est de constater que ces mouvements ne reflètent pas l’ensemble de la population. En ce sens, les critiques des communistes de 1968 étaient fondées et se retrouvent aujourd’hui, même si elles émanent de la mouvance politique diamétralement opposée. Et quand on entend que beaucoup d’étudiants, dans un marché du travail restreint, avaient pris contact avec des employeurs qui conditionnaient l’embauche (même pour un simple stage) à l’obtention d’un diplôme, à une date précise, on ne peut s’empêcher de penser que ce sont les étudiants les plus fragiles socialement qui vont faire les frais de cette révolte estudiantine. Ceux qui peuvent se permettre de redoubler leur année ou qui trouveront plus facilement un stage ou un boulot grâce aux réseaux de leurs parents ne connaîtront pas ces affres ni leurs conséquences. Finalement, ce sont toujours les mêmes qui trinquent. Les enfants des ménages les plus modestes, d’une façon ou d’une autre sont pénalisés et obtiennent moins de diplômes que ceux de la classe moyenne supérieure, sans parler de la classe supérieure qui fréquente les grandes écoles. Aujourd’hui, il n’y a plus que 6 % d’enfants des milieux les plus modestes à fréquenter ces grandes écoles contre 14 % dans les années 1960. Plus encore qu’en 1968, les étudiants d’aujourd’hui sont issus majoritairement de la classe moyenne supérieure et peuvent se permettre de faire un tour pour rien. Tant pis pour les autres.

 

Mais là, il n’y a rien de nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que les responsables des universités vont pouvoir mettre en place des dispositifs qui vont permettre de passer les examens à distance. Techniquement, c’est possible. Ça n’a encore jamais été expérimenté en France mais voilà justement l’occasion rêvée. Si ça marche, gageons que ça se généralisera. Naomi Klein appelle ça la « théorie du choc » : profiter d’un événement exceptionnel pour faire passer l’inacceptable. Donc, on verra si ça se passe bien ou même pas trop mal. Ensuite, ça pourra être généralisé. Plus besoin de mobiliser du personnel pour surveiller, de faire marcher le chauffage, la ventilation, l’électricité. Plus besoin de fournir des feuilles de copies, de mettre en place un système d’anonymat avec découpe de l’en-tête pour garantir l’équité. Plus de risque pour le candidat de rater son train, d’arriver trop tard. Plus besoin de mobiliser un surveillant pour accompagner les candidats aux toilettes. Après tout, on avait nourri les pires craintes quand on a autorisé l’usage des calculettes aux examens et le monde ne s’est pas écroulé. Pas sûr que ça ait beaucoup contribué au score de 80 % de bacheliers. Alors, il faut vivre avec son temps et il est bien normal que les examens ne se passent plus en 2018 comme ils se passaient au début du siècle dernier dans d’immenses salles, surveillées par des professeurs et des appariteurs ; sauf que les néons puis les leds ont remplacé les rares ampoules. Finalement, cette grève avec occupation, malgré les cris d’orfraie (pour la forme), de la Ministre, tombe à pic pour un gouvernement qui ne pense qu’à « faire des économies ».

 

https://www.20minutes.fr/paris/2269087-20180511-video-blocus-universites-examens-prevus-vendredi-samedi-arcueil-annules#xtor=EPR-182-[welcomemedia]--[article_paris]--

 

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