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la lanterne de diogène
19 janvier 2012

Camus dans l'ordre libertaire

Un an après les publications qui ont marqué les cinquante ans après la mort de Camus, Michel Onfray signe une nouvelle grande biographie qui s'ajoute à celles de Lottman et de Todd et quelques autres moins connues.

Deux grands hebdomadaires, Le Point et Marianne, ont salué la sortie de la somme, en ont fait leur couverture et ont publié analyses, commentaires et bonnes feuilles. Les deux sont revenus, inévitablement, banalement, sur la brouille entre l'auteur de « L'Etranger » et celui des « Mots ». Depuis plus de cinquante ans que dure la controverse, on s'étonne d'apprendre encore des détails qui éclairent les raisons réelles et les causes occasionnelles de la rupture. Le problème, c'est qu'une lecture à l'aune de notre temps donne désormais, systématiquement tort au second tant il est vrai que le premier a su faire montre d'une lucidité tout aussi courageuse qu'exceptionnelle. Il faut se rappeler le contexte chronologique, après l'occupation et l'environnement intellectuel, presque complètement fasciné par le communisme russe et les mouvements de décolonisation. Si, force est de constater que Camus a eu raison contre Sartre, alors que pendant au moins trente ans, on a prétendu le contraire, il ne faudrait pas non plus vouer le pilier du Café de Flore aux gémonies ni, encore moins, faire passer Camus pour un prophète de l'ultra-libéralisme. La tentative de récupération de Camus par la droite est indigne et insultante pour le Résistant et l'homme engagé qu'il était.

Justement, les deux hebdomadaires, s'ils rendent un juste hommage à l'écrivain d'origine algérienne, occultent une part essentielle de la personnalité et de son œuvre. On évoque bien la polémique, les relations conflictuelles avec les autres intellectuels de son temps et surtout avec Beauvoir pour des raisons qu'on devine. On aime rappeler sa liaison avec Maria Casares, que Lottman a suggérée avec une pudeur dont feraient bien de s'inspirer les scribouillard d'aujourd'hui. On convoque les philosophes et chroniqueurs actuels pour connaître leurs sentiments sur Camus. On se répand sur l'Algérie car, de toute évidence, la plaie n'est pas refermée et l'on cherche dans l'auteur de « Noces à Tipasa » les conditions pour renouer le dialogue. Parfois, on fait des allusions au théâtre ; plus rarement au football. Tout cela, nous l'avons lu. Nous le savions. Nous avons apporté une briquette à l'édifice en parcourant la presse depuis un an ou en consultant les ouvrages cités. Pourtant, il est un sujet que personne n'a pris la peine de mentionner et le titre de la biographie, pourtant très suggestif, de Michel Onfray n'y a rien fait. Il s'agit, bien sûr, de l'engagement d'Albert Camus au côté des libertaires. Catherine Camus a publié, l'an passé, un grand livre fourni de documents personnels et de photos privées. Elle a évoqué, sans ambages, les relations de son père avec des figures du mouvement anarchiste. Avant elle, Lottman y avait consacré quelques paragraphes à la fin de sa biographie puisque, par définition, c'est vers la fin (mais il ne le savait pas) que Camus s'est rapproché des libertaires et y a trouvé une communion tant par les origines modestes des militants que par leur façon d'aborder les questions de leur temps, sans concession mais en dehors de toute référence à une chapelle. L'esprit franc-tireur qu'a toujours manifesté Camus, déjà en décrivant la misère des Kabyles dans l'Algérie coloniale puis dans son engagement aux côtés des Résistants, trouvait un écho et une fraternité naturelle avec les anarchistes.

Or, de cela, il n'en est jamais question ou si peu. Les commentateurs d'aujourd'hui réalisent l'exploit de parler du livre d'Onfray, sans mentionner le titre, « L'Ordre libertaire » ni, encore moins, en l'explicitant. On préfère utiliser Camus pour achever de discréditer tout le courant de pensée, souvent brillant, qui a accompagné le mouvement communiste. Encore une fois, cette récupération de Camus est abjecte. Michel Onfray ne cache pas, lui-même, son appartenance au courant libertaire. On aurait pu penser qu'il serait inévitable de le nommer. Il faut croire que, décidément, il y a des mots qui font peur, des courant de pensée qui gênent plus encore que les contestataires même les plus sincères. La pensée libertaire refuse l'ordre établi, quel qu'il soit. Elle se définit comme affranchie de toute aliénation politique, économique, philosophique, sociale, parce qu'elle met l'éducation, la formation intellectuelle comme condition sine qua non pour construire une vie humaine à la hauteur de tous les enjeux rencontrés dans une vie humaine. En ce sens, la pensée libertaire dérange au plus haut point tous ceux qui rêvent d'amener les autres à leur mode de vie ou de pensée et tous ceux qui, réalisant qu'ils suivent un autre, au lieu de tracer leur propre voie ne supportent pas de voir leur faiblesse dévoilée aux yeux de tous. Camus et le mouvement libertaire se rencontrent, inévitablement, naturellement, fraternellement, dans leur combat pour que l'individu évolue en dehors de toute contrainte. Ça s'appelle, parfois, l'indépendance d'esprit.

Camus fascisme

Marianne risque un intertitre, « Proudhonien et libertaire », mais il faut attendre la fin du propos pour trouver une référence explicite : « Camus puise son inspiration dans le génie libertaire espagnol et dans la Commune de Paris, dans toute cette tradition « qui chemine toujours sous les apparences de la défaite, et portera l'homme plus loin que n'a pu le faire la révolution de 1917 », écrit-il ». Onfray, lui-même, sous-titre sur « la vie philosophique » comme pour atténuer son propos ; à moins que ce ne soit pour ne pas effrayer le lecteur potentiel. Philosophe également, il semble que son ouvrage ait pour but de réhabiliter Camus comme philosophe, compétence qui lui est encore déniée par nombre d'intellectuels. Il est vrai qu'il n'a pas décroché l'agrégation. Pour lui, la philosophie apparaît comme une manière de formaliser la réalité, de l'analyser. Pour ses adversaires, il s'agissait davantage d'une manière de se situer, de rentrer dans un moule même contestataire. Camus n'était pas ce qu'on appelle aujourd'hui un « bobo ». Il a connu la misère et, pour lui, ce n'était pas un sujet de dissertation ni le ferment ou l'avant-garde d'une révolution fût-elle prolétarienne. D'abord, les miséreux ne font même pas partie du prolétariat mais du sous-prolétariat. Ils ont besoin de réponses immédiates à leur situation et la vie de tous les jours est d'abord une lutte pour la survie. N'a-t-il pas déclaré : « Nous sommes quelques uns à ne pas supporter que l'on parle de pauvreté autrement qu'en connaissance de cause ».

C'est sans doute le malaise éprouvé à la lecture des œuvres de Camus, bien plus que sa brouille avec Sartre, qui l'a mis au ban de la bien-pensance depuis plus d'un demi-siècle. La polémique avec Sartre a été saisie au bond par tous ceux que la force de la pensée de Camus trouble. Camus ne parlait qu'en connaissance de cause. Il avait éprouvé dans sa chair les sujets qu'il abordait ou, au moins, en avait été le témoin direct et parfois unique ; unique parmi ceux qui ont le pouvoir de s'exprimer. Il ne fait aucun doute que, pour lui, le rôle de l'intellectuel doit être de prendre la parole, le plus fidèlement possible et seulement à leur demande, de tous ceux qui peinent à s'exprimer. Maurice Joyeux, figure du mouvement anarchiste, rapportait une différence majeure entre un philosophe comme Sartre et Camus. Sartre visitait parfois des usines pour rencontrer les prolétaires. Il prenait la parole et les appelait à se mettre en grève pour réunir les conditions de la révolution. Il croyait, sans doute, qu'on se met en grève facilement quand on a une famille à nourrir et qu'on a déjà un salaire de misère. Camus aussi allait à la rencontre des ouvriers. Il les écoutait. Il apprenait d'eux, lui, le Prix Nobel de littérature, lui, l'élève d'un quartier populaire d'une ville colonisée, parvenu aux études grâce au concours des bourses et l'appui de son vieil instituteur, lui-même de condition humble.
http://www.youtube.com/watch?v=F6xPO75Q44U&feature=related

Puisque bien peu sont enclins à reprendre le titre « L'ordre libertaire », citons simplement le géographe Élisée Reclus : « L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre ». Et, s'il faut prendre des pincette pour ne pas effrayer, reprenons un terme que les Espagnols préfèrent à « anarchie ». Il s'agit d'acratie. On peut, sans crainte le revendiquer tant il est vrai que c'est dans ce pays – d'où venait la famille Camus – que l'ordre libertaire a pu se déployer. C'était pendant la guerre civile, alors que le pouvoir républicain devait faire face à l'insurrection des casernes tenues par les nationalistes et ne pouvait plus assurer les services publics. Dans les régions industrielles comme la Catalogne et le Pays-Basque, le syndicat anarchiste CNT a organisé l'instruction publique, les transports, l'hygiène dans les quartiers des villes, malgré les restrictions. Cette volonté de demeurer debout dans l'hostilité est à l'origine de la répression démesurée à l'encontre des Basques.

Camus a toujours regardé vers l'Espagne. Sa pièce, « Révolte dans les Asturies » date de 1936. Roger Grenier, qui a été son camarade parmi la rédaction de Combat a rédigé un essai intitulé « Camus, soleil et ombre » (1987). Camus est indissociable de la fraternité libertaire et de la Méditerranée.

« Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure »


http://tempsreel.nouvelobs.com/jean-daniel/20120106.OBS8265/notre-camus.html

http://www.c-g-a.org/toulouse/Frame_Camus_ML.html

http://www.avoixautre.be/spip.php?article2195

http://www.youtube.com/watch?v=34b4FqcFZaI

http://www.drapeaunoir.org/fondateurs/reclus/expression.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/01/09/3641456.html

sur Camus
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/01/16/7588433.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/01/05/3602717.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/01/19/7620443.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/11/02/19494700.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/12/13/7219720.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/12/16/7249976.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/26/16676050.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/05/16390525.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/02/16/16931031.html

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