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la lanterne de diogène
3 décembre 2018

Gainsbourg malgré lui (réponse à Jérémy)

 

Précédemment, j’avais renoncé à compléter ce que tu disais sur Léo Ferré et Georges Brassens. Idem, je préfère ne rien dire sur Renaud. Certes Gainsbourg a pompé dans la musique classique mais ça veut dire qu’il possédait une vaste culture classique et il n’est pas le seul à l’avoir fait. Van Gogh revendiquait le droit d’interpréter les œuvres de ses modèles et, parmi eux, son préféré, Millet. Michel Legrand l’a fait largement et le technicien de France-Inter, Gille Davidas avait remarqué une forte ressemblance entre un titre du dernier album de Phil Collins et un morceau classique au clavecin. Ça passe bien car bien peu s’en aperçoivent. Quand on pense à la longueur de la plupart des pièces classiques, on comprend qu’il est facile, pour un musicien de talent, d’en extraire quelques phrases musicales et de les adapter au goût du jour. Bien sûr, il ne faut pas prendre les plus connues. Dans la symphonie n°9 de Dvorark, Gainsbourg n’a pas repris le thème archiconnu mais un autre que seuls les mélomanes peuvent reconnaître. Sinon, les musiciens de jazz sont réputés pour improviser à partir d’un thème. Il y a même des techniques pour ça mais je suppose que les premiers jazzmen ne les connaissaient pas mais se débrouillaient très bien. Peu importe, après tout, si le résultat est heureux. Puisque nous avons les mêmes références, tu te souviens, peut-être, qu’à la radio-scolaire, nous avions appris autrefois « La troïka ». Des années plus tard, j’ai constaté qu’il s’agissait d’un extrait de « Lieutenant Kijé » de Prokofiev. Idem, cette autre chanson (assez nulle) des Compagnons de la Chanson intitulée « Le cœur en bandoulière » qui est un extrait d’une pièce classique. Que dire, enfin, d’une des chansons préférées de Mitterrand, également des Compagnons de la Chanson, « L’enfant aux cymbales » ? Venicíus de Moraes au Brésil, Jean Broussolle en France l’ont composée à partir d’une fameuse pièce de Bach.

Je me suis rendu compte, assez récemment, que Gainsbourg était un spécialiste des rimes. En fait, il partait d’une rime, souvent improbable, et s’amusait à trouver tous les mots qui correspondaient et trouver une petite histoire. Ensuite, on pouvait reprendre, introduire une plage instrumentale et le tour était joué. Gainsbourg n’a jamais accepté de n’avoir pas fait une carrière de peintre et de s’être enrichi facilement avec des chansonnettes qui lui prenaient peu de temps. D’où son altercation avec Guy Béart : il n’y a pas de haute école pour apprendre à faire des chansons alors qu’il y a des conservatoires pour la musique, des écoles de beaux-arts pour les arts plastiques. Le fait est, quand on entend la plupart des chansons, qu’elles ne demandent pas un grand travail. Je ne résiste pas à l’envie de citer « Flash pour le jour/Flash pour la nuit ». J’avais entendu ça en me rendant au boulot, autrefois, et je m’étais demandé si ça valait le coup d’y aller quand d’autres gagnaient leur vie à débiter ça. En plus, on m’avait répondu que celle qui chantait n’avait pas besoin de gagner sa vie. Bien sûr, je ne savais pas de qui il s’agissait. Un préféré d’Inter qui n’hésite pas à la matraquer (pourtant pas beaucoup d’occasion tant la parlotte l’emporte) : « Ah, c’que t’es belle au bord de la mer » répété des dizaines de fois sur une mélodie plate parce que le chanteur est incapable de descendre et de monter. J’avais écrit à Philippe Meyer pour lui suggérer d’en faire sa « chanson hon » lors d’une prochaine émission. Bien au contraire, il avait fait la promotion de ce chanteur comme s’il était le nouveau Brel. Comme quoi… Avec des chansons du même tonneau, il a quand même pu sortir 4 ou 5 albums (quand Colette Magny, peu avant son premier album à lui n’a pas pu récolter les fonds pour sortir son dernier à elle) et trouvé 4 producteurs…

gainsbourg

Je me souviens avoir lu une entrevue que Gainsbourg avait donnée à Télérama au début des années 1980. Il trouvait anormal de gagner des millions avec une chanson qui lui avait pris une heure de travail. Il avouait qu’il en sortait une, de temps en temps, pour gagner sa vie et faire autre chose. À l’époque, il devait faire allusion à « L’ami Caouette », justement exemple de départ de rimes, chanson sans aucun intérêt (ni musical, ni pour le sens) qui a eu un succès fou. Face à Michel Berger, il se vantait d’avoir trouvé des rimes en « -ex ». Pour ça, il n’a pas hésité à imposer des césures au milieu des mots : ex-plication, surex-poser. Ensuite, on recommence ad libitum. Si l’on fait attention, presque toutes partent de la rime comme « Ballade de Mélody Nelson », « Harley-Davidson ». La même rime peut servir plusieurs fois. Dans son émission consacrée à Boris Vian (citée précédemment), Jacques Martin avait rappelé qu’il considérait Serge Gainsbourg, présent sur le plateau, comme son successeur. Pour moi, Gainsbourg était un mélancolique dont la dépression s’exprimait par la recherche de la décadence (selon ses termes) et ce que j’appellerai l’hédonisme, pour rester correct. Il ne s’est jamais remis de cette impossibilité de devenir peintre. Génie, oui, car il a su rebondir brillamment et exceller dans « cet art mineur qu’est la chanson » et d’autres domaines où il a fait mieux que se défendre. Sans doute pas le cinéma puisque le critique de Libération s’était fendu du titre : « Le film le plus suant de l’année ». On lui pardonnait tout et ce n’est pas forcément ce qu’on faisait de mieux. Finalement, lui-même ne recherchait pas tout ce qu’on lui a attribué et qui, là encore, fait partie des stéréotypes autour du personnage qu’il serait vain de vouloir corriger. Répondant au micro de Katia David (quand Jean Garetto était directeur de France-Inter), il avouait détester le 16e arrondissement réputé pour abriter tout ce que la haute bourgeoisie compte et où se trouvent les résidences des souverains étrangers lorsqu’ils viennent s’encanailler à Paris : « Y a pas une poissonnerie, pas un bistrot, pas une boulangerie ». En fait, il était plus simple qu’il ne paraissait mais avait fini par être enrôlé dans son personnage.

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Commentaires
J
J'ajouterai sur Gainsbourg, à ce que tu en écris, qu'il était -malgré lui- le prototype de ces "artistes Rubik's cube" qu'on ne dénombre plus à l'heure actuelle dans le show-biz français. En clair ce sont, montées sur deux pattes, des usines à fabriquer du produit culturel mainstream. L'acteur(trice) qui du jour au lendemain se bombarde écrivain, le surlendemain elle, il sort un disque, la semaine suivante elle, il passe de l'autre côté de la caméra, ressort un bouquin, se pique de verser dans la peinture, la sculpture, pourquoi pas la BD et la saison à venir c'est au théâtre que ça se passera, sur scène ou comme metteur en scène, bref ! tu peux prendre n'importe laquelle de ces disciplines pour en faire le point de départ et le point d'arrivée (lequel s'associe souvent aux causes animale/humanitaire, ça fait bien, c'est bon pour l'image, ça fait vendre) et en cherchant bien (sans trop se torturer l'esprit, il suffit de voir qui est invité en permanence dans les talk-shows-promos) tu peux apposer des dizaines de visages sur ce schéma. Evidemment n'importe qui peut s'improviser metteur en scène, acteur, écrivain, peintre, sculpteur, chorégraphe du jour au lendemain. Du moment que ça passe par Drucker et ses émules pour vendre et qu'en face, il y a un public formaté à acheter n'importe quoi les yeux fermés (y compris les chansonnettes à deux balles), signées par les crétins qui vont militer contre le téléchargement sauvage... d'autre chose que leurs produits "culturels".<br /> <br /> <br /> <br /> Gainsbourg c'était, OK, une autre époque ! A laquelle il appartenait, il était les années 50/60/70 comme Dutronc et Hardy sont indissociables du tournant des années 65/66, le post-yéyé où le tri s'est opéré entre fonds sonores pour Prisunic (je ne cite pas de noms par charité), le néo-conservatisme pour reliques de l'autre guerre qu'incarnaient Mireille Mathieu, les Compagnons de la Chanson (sorry, Diogène), Philippe Clay, Tino Rossi et consorts, et les vrais talents d'avenir qu'étaient Dutronc, Hardy, Polnareff, Gainsbourg. Lequel habitait les époques qu'il a marquées de ses chansons inspirées des codes germanopratins (il avait été le pianiste de Boris) et de ses albums-concepts auxquels seuls pouvaient se mesurer en ce temps-là ceux, confidentiels, d'un Gérard Manset. Quelque chose de plus, quelque chose d'autre. <br /> <br /> Gainsbourg n'a jamais été si ridicule, à mon sens, que lorsqu'il a voulu coller aux schémas de ces sordides années 80 auxquelles il n'appartenait pas plus que Guy Béart. Le second était atemporel, on gardera de lui l'image d'un poète lunaire fasciné par les étoiles. On sait (ou croit savoir, ce n'est pas très important) que le dandy Gainsbourg est devenu le clodo Gainsbarre après sa rupture avec Jane. La provoc' facile est devenue son fonds de commerce. Constamment bourré, ou surjouant l'ivresse, le voilà tour à tour écrivain (forcément décadent, quoique... son Evgueni Sokolov, au style délibérément ampoulé, se laisse lire mieux qu'un Amélie Nothomb), cinéaste, rasta flattant la communauté gay, provoquant les paras pour ensuite en faire ses potes... Finalement oui, il a marqué les années 80 en en épousant les schémas, mais comme un chanteur d'un passé glorieux consentant à se vautrer dans les facilités d'une décennie-charnière. <br /> <br /> <br /> <br /> L'étrangeté de sa vie amoureuse doit à son histoire personnelle, et je concluerai là-dessus, Diogène. Jane est la fille du commander de la Royal Navy David Birkin, allié de la Résistance française. Bambou est la fille d'un légionnaire de l'armée allemande et selon ses dires, la petite-fille du général Friedrich Paulus, tombé à Stalingrad, qui s'illustra comme un dissident du nazisme et témoin à charge au procès de Nuremberg. <br /> <br /> <br /> <br /> De même que Léo était né à la date anniversaire du massacre de la Saint Barthélémy et mort un 14-Juillet, on peut dire qu'il y a un destin pour certains artistes...
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