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la lanterne de diogène
30 janvier 2011

le monde arabe entre l'impatience et l'attente

Le monde arabe bouge. L'exaspération des Tunisiens donne des idées aux autres. Dans le monde arabe, on est particulièrement attentif à tout ce qui se passe dans les pays frères. Les Etats arabes, issus des découpages coloniaux ou tutélaires, ont développé des nationalismes artificiels allant de la rivalité à la haine tandis que, au niveau des peuples, malgré le mal qu'on peut penser (ou peut-être à cause de) d'un régime ou d'un chef d'État, on se sent proche de l'homme de la rue.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/11/28/15916847.html

 

Se révolter contre l'autocratie, le népotisme qui, jusqu'à présent allait de soi, et pousser le dirigeant suprême à partir est devenu possible. Qu'est-ce qui a changé par rapport à l'époque où le Président syrien pouvait faire tuer des milliers de manifestants ou pendre des opposants au régime sur la place publique ? Qu'est ce qui a changé par rapport au temps où l'on trouvait tout à fait normal qu'un chef d'État installe son clan au pouvoir, à tous les niveaux, dans toutes les instances sans que la majorité de la population y trouve à redire ? Qu'est-ce qui a changé pour que le pouvoir d'un parti unique ou hégémonique, reflétant plus les liens familiaux et claniques, soit désormais contesté ? Jusqu'à ces derniers temps, ces versions modernes et locales de l'émirat étaient plébiscitées par les peuples auxquels on ne demandait pas souvent leur avis. Les dirigeants avaient pris soin de se poser en garants de l'indépendance contre les anciennes administrations coloniales ou contre les mandats de la SDN. En flattant la fierté des peuples, en entretenant en permanence le rejet des ingérences occidentales, on pouvait asseoir un régime dictatorial, pillant les richesses au profit d'une poignée de privilégiés avec l'approbation de tous. Le clan au pouvoir insistait sur son ancrage national qui s'opposait à toute influence étrangère.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/01/16/20136837.html

 

Seulement, à l'heure de la mondialisation, à l'heure des autoroutes de l'information et de ce qu'on appelle les « réseaux sociaux » en ligne, ce n'est plus possible. Les pays arabes ont aussi en commun la jeunesse de leur population. Ces jeunes, qui regardent les télévisions, qui passent leur temps libre dans les cybercafés ne peuvent plus se contenter des discours de propagande quand ils voient des pays comparables aux leurs, il n'y a pas si longtemps, relever la tête et accéder à un peu plus de confort matériel. Pour la jeunesse, le temps n'est pas le même que pour les adultes installés dans la vie active. Comme tous les jeunes du monde, ils sont impatients d'agir, impatients de décider, impatients de faire leurs preuves. En d'autres termes, ils ne peuvent pas attendre.

 

 

Tout autre est le comportement des islamistes. Leur rapport au temps est déconnecté de toute forme réactive. Ils n'agissent pas dans l'instant mais dans la durée. Le temps est sans valeur dans leur objectif final qui est de servir Dieu et de préparer son avènement. Dieu est éternel et son avènement viendra. Peu importe s'il ne survient pas tout de suite, ni demain, ni après-demain. Ça viendra, et chaque croyant se doit d'y participer au présent et d'en favoriser la réalisation chacun à son niveau. Il n'y a aucun doute. Cette certitude procure un confort intellectuel propre à rassurer des masses désemparées.

 

Les commentateurs répètent à l'envi que les islamistes ne participent pas aux événements de Tunis, d’Alger et à peine à ceux du Caire. Ils y voient un point positif qui rend ces mouvements sympathiques surtout dans un pays laïc comme la France, volontiers anticlérical. Les islamistes n'ont pas besoin de participer physiquement aux émeutes. Ils peuvent très bien se tenir en retrait, observer et laisser la population prendre les coups. Il leur suffira de sortir au moment opportun. L'attente constitue la meilleure stratégie. Tandis que les jeunes sont impatients, les religieux demeurent placides. Cette patience plus ou moins forcée pourra apparaître le moment venu comme une marque de sagesse et ils pourront alors se poser en recours neutre pour n'avoir, justement, pas pris part aux émeutes et à leurs éventuels excès.

 

Les islamistes, comme tous les fondamentalistes religieux n'ont pas besoin de s'associer aux actions populaires. Ils disposent du réseau de leurs lieux de cultes et peuvent compter également sur ceux qu'ils ne contrôlent pas en adaptant soigneusement leur discours. Ils n'ont pas besoin de participer directement à l'exercice du pouvoir. Il leur suffit d'exercer une pression régulière pouvant aller jusqu'au harcèlement afin que leurs règles de vie s'imposent. Petit à petit, en se faisant tantôt conciliants, tantôt menaçants, ils obtiennent une orientation religieuse des manuels scolaires, la séparation des sexes dans certains lieux publics, le port de tenues vestimentaires pour les femmes, le respect des tabous alimentaires. Cela prend du temps mais cela devient imperceptiblement une réalité. Deux pays antagonistes nous en offrent l'exemple. Il s'agit de l'Égypte et d'Israël. Dans le premier, en échange de la paix intérieure, les fondamentalistes ont augmenté leur emprise sur la vie quotidienne. Dans le second, tout en restant ultra minoritaires, les religieux imposent leurs horaires, leurs interdits, contrôlent la ville de Jérusalem et rendent impossible tout règlement de paix.

 

Enfin, il existe pour les fondamentalistes une troisième voie pour parvenir à leurs fins. À la faveur d'élections, ils peuvent soit participer à une coalition et imposer leur point de vue en participant au gouvernement. Soit, tout en demeurant minoritaires, ils constituent néanmoins la seule force organisée et, à ce titre, parviennent au pouvoir et forment un gouvernement homogène. Bien entendu, une fois à la tête de l'État, ils n'auront rien de plus urgent que d'abroger le système qui les a servis une fois mais qui pourrait tout aussi bien les renvoyer. L'Histoire du 20ième siècle abonde de partis minoritaires parvenus démocratiquement au pouvoir puis instaurant des régimes totalitaires. On aurait tort de croire les islamistes débordés par le peuple, submergés par les nouvelles technologies engoncés qu'ils sont dans leurs lieux de cultes obscurs. Ils peuvent se permettre le luxe d'attendre que la jeunesse et les masses populaires tirent pour eux les marrons du feu. Encore une fois, ils ont le temps et disposent d'au moins trois possibilités d'exercer le pouvoir, directement ou non.

 

La pagaille qui suit habituellement ce genre d’événements favorise l’éclosion de partis, de mouvements qui luttent pour parvenir au pouvoir ou qui en appellent aux fondamentaux de la révolution. Les personnalités qui émergent consacrent beaucoup d’énergie dans la rivalité, accusant les autres de n’être pas assez révolutionnaires. Les fondamentalistes religieux savent taire leurs conflits (personnels ou théologiques) quand leur intérêt est en jeu.

 

Pour le moment, le monde arabe est secoué ou sera secoué par un séisme que personne ne voulait prévoir tant est grande la force de l'habitude, tant la résignation est généralisée et pas seulement dans le monde arabe. On feignait de trouver des vertus à ces régimes policiers qui laissaient une certaine latitude aux populations et aux classes moyennes et surtout aux commerçants et aux entrepreneurs tant qu'ils ne revendiquaient pas. Il a suffi du geste désespéré d'un vendeur à la sauvette des rues de Tunis que pour l'exaspération s'exprime partout, pour que la peur stimule la révolte. Maintenant, nous observons d'un côté, une aspiration légitime au changement, à la démocratie, au progrès, de l'autre, une stratégie de patience visant à revenir en arrière, à instaurer le mal-être pour tous faute de pouvoir préparer le bien-être qui relève de Dieu et de lui seul.

C'est cette équation que devront résoudre les populations arabes qui se révoltent contre leurs chefs.

 

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