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la lanterne de diogène
16 juillet 2011

Questions autour des morts en Afghanistan

 

Le 14 juillet 2011, on apprennait que cinq soldats français avaient trouvé la mort en Afghanistan peu après l'annonce d'un retrait partiel avant le retrait total annoncé. Ces morts s'ajoutent aux dizaines d'autres depuis que des armées occidentales ont envahi ce pays inaccessible, montagneux et hostile, pour tout dire.

 

Dans un premier temps, il s'agissait de détruire la base arrière d'al-qaida qui avait fait de ce pays son centre névralgique. On pouvait le comprendre et même l'admettre. Pourtant, si la population afghane a plutôt bien accepté la fin de la dictature religieuse et de l'obscurantisme qu'elle imposait (interdiction d'écouter de la musique par exemple) et la réduction des femmes à l'état de reproductrices et de domestiques gratuites, elle a également subi plus qu'accompagné la présence de troupes étrangères. Au début, l'administration de George W. Bush était surtout préoccupée de trouver de nouveaux marchés, des tracés pour de nouveaux oléoducs et de faire des affaires. Pour cela, une poignée de privilégiés locaux suffisait comme interlocuteurs. Le nouveau régime pouvait être corrompu et le pays pouvait bien demeurer arriéré, cela n'avait aucune importance. Les troupes occidentales bien armées assurait la sécurité de ces individus dont on peut suspecter l'origine de la fortune.

 

La population, elle voulait tout simplement vivre comme les autres. Elle avait besoin d'hôpitaux, d'écoles, d'universités de qualité, de routes goudronnées (il y a surtout des pistes et des chemins muletiers là-bas), d'équipements pour être relié au monde. En ne voyant rien venir, beaucoup d'Afghans se sont posés des questions et ont commencé à rejoindre les talibans qui, au moins, n'affichent pas un mode de vie inaccessible aux moyens de la population. On ne peut pas mettre des gens devant des vitrines tout en leur disant que tout ça n'est pas pour eux. C'est pourtant ce qu'à fait l'administration Bush. Qu'on ne s'étonne pas du résultat et du peu de soutien d'une population exclue de fait.

 

Les talibans et autres intégristes possèdent un énorme avantage sur tout le monde : le temps. Pour eux, l'imposition de la théocratie se fera, inéluctablement. Dieu est éternel. Si ce n'est pas demain, ce sera après-demain ou dans dix ou cinquante ans. En attendant, ils gagnent peu à peu du terrain, travaillent les mentalités, rognent. L'intégrisme est peu coûteux. Il impose un régime un alimentaire frugal et une mode vestimentaire réduite au minimum. Ça attire forcément les plus démunis qui se trouvent, grâce au nivellement par le bas, à égalité avec les autres. Ça devient valorisant pour ceux qui forment la grande majorité de la population dans certains pays. D'ailleurs, on observe que la pratique religieuse s'estompe dans les classes sociales qui parviennent à l'aisance matérielle. Justement, les talibans et autres intégristes ne promettent pas l'aisance matérielle et la combattent, au contraire. Dans ce contexte, tout ce qui pourrait contrarier les frustrations doit être détruit. Il est important pour eux de détruire les routes récemment construites ou les immeubles des services publics qui se mettent péniblement en place. Faute de l'avoir compris à temps, l'administration Bush a livré l'Afghanistan à ses anciens bourreaux, exposé des soldats, dilapidé les quelques aides. Quand elle s'est avisée qu'elle ne gagnerait rien si le pays ne rattrapait pas le retard sur ses voisins, il était déjà trop tard. Les talibans s'étaient réorganisés et enregistraient leurs premiers succès militaires, ce qui était de nature à retourner les sentiments de la population. Le reste n'est plus qu'une question de temps ; et l'on sait ce qu'il en est du temps pour des religieux.

 

On compare souvent l'Afghanistan au Viet-Nam. On le disait déjà quand l'armée soviétique s'enlisait. Maintenant, ce sont les armées occidentales qui sont empêtrées. Le bon sens populaire l'a vite compris qui constate que dans ce genre de guerre, on a d'un côté une armée bien équipée mais des militaires qui ne savent pas vraiment pourquoi ils combattent et de l'autre des va-nu-pieds qui, au contraire, savent pourquoi ils se battent. Les uns affichent des grands principes mais les grands principes manquent cruellement de réalité concrète. Les autres poursuivent des objectifs réalistes et indispensables pour leur survie. Le combat est inégal mais pas comme on le croit vu d'ici.

 

L'organisation des talibans s'articule autour de quelques grands points comme la production de pavot qui assure des recettes régulières ainsi que sur la racket des entreprises qui équipent tant bien que mal le pays. Autre avantage, en sabotant le progrès matériel, ils empêchent la population de choisir ce progrès plutôt que l'obscurantisme religieux. Pour le reste, il suffit de quelques opérations militaires bien menées et le tour est joué. Malheureusement, on comprend très bien que tout le déploiement des troupes occidentales, les pertes humaines enregistrées, l'épuisement moral du personnel sur place aura été inutile. On sait très bien que quelques jours avant le départ des derniers soldats occidentaux, les talibans auront repris le pouvoir à Kaboul et que les semaines qui suivront verront la régression et les règlements de compte.

 

C'est encore plus triste et plus douloureux de compter des morts et de soigner des blessés dont certains resteront invalides quand on sait que c'était inutile.

 

Maintenant, il faut se demander où se trouvent les responsabilités. Celle de G.W. Bush est immense. À la juste réaction consistant à éradiquer le terrorisme et sa base, a succédé l'affairisme le plus abject sans aucune autre considération que le profit immédiat pour quelques entreprises. Seulement, cette réaction a été rendue possible par cette idée répandue selon laquelle être militaire consiste seulement à porter un uniforme, vivre dans une caserne et obéir à des ordres sans intérêt.

 

Autrefois, la carrière des armes attirait bien sûr la masse de ceux qui aiment la bagarre, qui haïssent l'autre. Nous ne les évoquerons pas plus longtemps. Il y avait ceux qui éprouvaient une fascination sincère pour l'armée, le prestige de l'uniforme, l'entretien du souvenir de la bravoure des ainés. Vigny en a parlé bien mieux. On trouvait également des hommes qui répondaient à une vocation consistant à défendre les autres. C'était tout à leur honneur. Il y avait aussi quantité de garçons rêvant d'une vie trépidante, recherchant l'action, le dépaysement. Or, avec les générations qui n'ont connu aucune forme de guerre, l'armée a dû déployer des efforts d'imagination pour renouveler ses effectifs. Elle y a réussi au-delà des espérances. Grâce à l'excellence de sa communication, elle a pu faire oublier sa raison d'être, ce qui était nécessaire avec la montée de l'antimilitarisme des années suivant Mai 68. Désormais, l'armée insiste, selon le public, sur les voyages outre-mer, les sauts en parachute pour les sportifs ainsi que l'entrainement des commandos. On met en avant le dépassement de ses limites combiné à la sécurité matérielle. À côté du traditionnel entretien des moteurs qui fait espérer un retour à la vie civile à la tête d'un garage, l'armée vante l'électronique, annonce qu'elle a besoin de techniciens de haut rang,d'informaticiens, fait miroiter la possibilité de piloter un hélicoptère. De plus, il y a la sécurité de l'emploi, nombre d'avantages et une retraite précoce et confortable qu'on pourra cumuler avec une activité. C'est intéressant en période de chômage de masse et de réduction des retraites. Depuis la suppression des Écoles d'Instituteurs qui permettaient aux plus modestes de poursuivre gratuitement des études supérieures, l'armée offre des formations de haut niveau tout en rémunérant ses élèves. En fait, tous les métiers sont représentés dans les armées et, dans les lycées, les conseillères d'orientations n'ont aucun scrupule à proposer la carrière militaire aux jeunes angoissés par un avenir douteux. Féminisme oblige, elles encouragent même les filles à rejoindre l'armée. Beaucoup sont déçus car il y a toujours loin de la coupe aux lèvres. En attendant, face au chômage de masse, ça ou autre chose... C'est toujours bon à prendre d'autant que depuis la suppression de la conscription, le régime militaire s'est drôlement adouci : on transporte le personnel en car et non plus en camion à ridelles à peine bâchés, ils portent des brodequins confortables qui donnent moins d'ampoules, des textiles polaires légers et, surtout, il n'y a plus de gradés braillards, vociférant des ordres, insultant les maladroits et les autres. Toujours est-il qu'on en a oublié la fonction de l'armée et surtout les risques. Les risques, quand on porte un arme, c'est qu'un autre se serve de la sienne avant ou mieux. Les risques, c'est la mort, la blessure, l'infirmité, la captivité, la torture. On entend des voix qui se tournent vers l'armée qui a envoyé des jeunes dans des opérations extérieures où ils peuvent trouver la mort. Tout ça, la communication mise en œuvre par l'armée l'a occulté et depuis longtemps au point qu'on s'étonne d'une chose aussi évidente.

 

Le 14 juillet voit traditionnellement les troupes défiler sur les Champs-Élysées au son d'airs martiaux. Autrefois, on louait ces braves pioupious qui traversaient parfois la France à pieds pour être applaudis quelques minutes sur le pavé parisien. Depuis quelques décennies, c'est l'anecdote voire le folklore comme cette année. Les badauds qui viennent assister au spectacle le regardent comme un péplum, une grande production hollywoodienne avec chars, dépenses de prestige, couleurs, variété des costumes. C'est comme au cinéma sauf qu'on assiste au tournage et qu'on figure. On est content de constater que la France peut faire ça.

 

Aujourd'hui, on compte déjà une soixantaine de morts, c'est à dire autant de familles en deuils et encore plus d'amis éplorés. D'ici le retrait total des troupes alliées, il y en aura forcément d'autres. Leur peine est celle de tous les endeuillés. S'y ajoute l'incompréhension tant la chose militaire a été banalisée au cours des dernières décennies. Il serait temps de rappeler qu'être militaire ne consiste pas seulement à gagner sa vie en uniforme ou à défiler pour la parade mais à risquer sa vie pour les autres. S'il n'apaisait pas la douleur d'un deuil, ce rappel lèverait les malentendus.

 

Cette année, le malaise était perceptible. Aux images de fête, avec ces jeunes gens en uniformes impeccables, exécutant au minimum une marche cadencée ou en offrant une démonstration de leurs talents, répondait la mort des militaires engagés en Afghanistan. Le malaise provenait du fait qu'on voulait étouffer la seconde afin de lancer des pétards et d'agiter des petits drapeaux, comme d'habitude, comme si l'armée n'était qu'un sujet de film. La nouvelle des morts portant les mêmes tenues (quoi qu'un peu plus sales) que celles qu'on admirait sous le soleil parisien gâchait le plaisir de regarder les beaux chevaux, les casques brillants, les véhicules rutilants et ces beaux jeunes gens exécutant des acrobaties en ordre serré. Ça serait mieux passé s'il n'y avait pas eu cette fâcheuse coïncidence. Les militaires morts en Afghanistan portant le même uniforme que ceux paradant sur les Champs-Élysées forment la mauvaise conscience des spectateurs qui feignent de ne voir dans l'armée qu'un défilé de beaux jeunes gens bien mis.

Face à la mort, tout ça paraît tellement dérisoire, puérile pour tout dire. Il n'est plus temps de parler « d'école du crime » et autres expressions de l'antimilitarisme. Il est juste temps de renouer avec le bon sens et de se souvenir que l'armée est faite pour nous protéger et que ceux qui exercent le métier des armes peuvent y trouver la mort.

 

 

sur l'Afghanistan et sur l'armée :

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/09/12/10551703.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/09/08/10510067.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/06/30/9767452.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2009/07/26/14526857.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/07/14/2301453.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/02/21/4074280.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2008/11/11/11318170.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2006/08/27/2568710.html

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Commentaires
G
Sur l'asymétrie des conflits, je te conseille un livre de Jacques BAUD, "la guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur".<br /> <br /> Dans un autre de ses livres, il explique qu'Al Qaïda n'existe pas, c'est une pure invention de l'administration Bush. En effet, si Ben Laden était bien à la tête d'un groupe terroriste informel, il n'avait en aucun cas tissé un réseau aussi abouti. L'invention d'Al Qaïda a permis aux EU de juger Ben Laden par contumace (ce n'est possible que si le prévenu est à la tête d'un groupe criminel). Donc, Al Qaïda n'existe pas. En témoigne le fait qu'en 1994 on n'appelait pas les terroristes de Marignane "Al Qaïda au Maghreb" mais GIA (groupe islamiste armé) !
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A
Puisqu'il faut que je fasse tout ici, voici mes propres commentaires :<br /> <br /> L'ami Alain a sorti une contribution au débat à la quelle je me suis permis de répondre. <br /> http://alainindependant.canalblog.com/archives/2011/07/17/21622034.html<br /> <br /> on écoutera avec intérêt le débat sur France-Inter ce 19 juillet 2011<br /> http://www.franceinter.fr/emission-interactiv-vos-questions-a-pierre-moscovici
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