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la lanterne de diogène
16 mai 2020

Jeanne d'Arc sur la bonne voie

Un peu par hasard, on apprend que ce 16 mai 2020, ça fera exactement 100 ans que Jeanne d’Arc a été canonisée par l’Église catholique qui l’avait fait brûler vive en 1431. Voici donc la petite Jeanne remise un temps sur le devant de la scène. Jeanne d’Arc réalise, bien malgré elle, l’exploit de réunir et d’opposer les principales tendances de la société française et d’exacerber les opinions. On pourrait croire qu’elle représente surtout une France de l’ancien régime, catholique et conservatrice. C’est vrai que les catholiques en ont fait une sainte mais les anticléricaux la revendiquent aussi puisqu’elle a été condamnée à mort par la toute puissante Église. La droite veut en faire sa figure de proue, surtout à une époque où elle espérait la restauration de la monarchie mais la gauche la reconnaît pour sienne car c’était une modeste paysanne qui s’est révoltée et qui soulevé le peuple autour d’elle et de ses idées.

http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/dans-les-voies-de-jeanne-d-arc-13-05-2020-106223_16.php

Rappel des faits. Nous sommes en pleine Guerre de Cent ans et les Anglais occupent une grande partie du territoire qui correspond aujourd’hui à la France. Un bergère de Lorraine décide de prendre le taureau par les cornes, de fédérer l’armée autour de sa personne. À une époque où le spirituel fait partie du quotidien, la population va facilement s’enthousiasmer pour une jeune fille a priori pure (puisque très jeune), qui prétend – comme les très fictifs Blues Brothers – accomplir une mission pour Dieu. Les foules l’acclament. Elle chevauche en tête de l’ost (armée royale), pourtant composée de soldats brutaux et rustres et elle enchaîne les victoires, et elle marche sur Bourges où s’est réfugié celui qui ne peut pas encore être roi. Ouvrons une parenthèse sur l’accueil des badauds. D’abord, à cette époque, à part les fêtes traditionnelles, les carnavals, il n’y avait pas beaucoup de distractions publiques ou, plutôt, c’étaient toujours les mêmes. Il faut imaginer ce que pouvait représenter l’entrée d’une armée avec chevaux en tête, oriflammes, bannières, casques empanachés, armes rutilantes suivis de la piétaille bruyante dans ses armures. Au pas du cheval, on avait le temps de rameuter tout le monde, d’autant qu’il y aurait forcément un arrêt sur la place principale, généralement devant l’église ou la cathédrale. Si, en plus, le premier cavalier se présente avec la silhouette petite et menue d’une jeune femme, l’étonnement laissait place à l’émotion. Voici ce que ça donnerait en langage d’aujourd’hui :

- Eh, t’as vu, c’est une meuf !

- Wow ! Et c’est elle qui les commande ?

- Ben, on dirait.

- Z’avez vu la meuf ?

- Bravo la fille !

jeanne d'arc

Meuf, fille, à l’époque se disait « pucelle ». Ça n’avait pas le sens péjoratif qu’il recouvre de nos jours mais faisait tout simplement référence à l’âge d’une personne du genre féminin. Si l’on en parlait pour Jeanne d’Arc, c’était uniquement parce qu’elle se trouvait à une place où personne ne s’attendait à la voir. À l’époque de Molière, un Sganarelle disait : « Peste, joli meuble ! ». Il n’y a pas si longtemps, on aurait dit que c’était une belle plante. Autant d’expressions pas forcément très heureuses.

Si Jeanne d’Arc était populaire, il en était autrement dans le cercle rapproché du futur roi. Alors qu’il tentait de la confondre en plaçant un comparse sur le trône et en se dissimulant parmi les courtisans, la petite Jeanne reconnaît celui qu’elle n’appelle pas autrement que son « gentil dauphin ». Ce qui accrédite la thèse selon laquelle, elle ne serait pas une modeste bergère mais plutôt une fille bâtarde de la maison royale. Il faut juste rappeler que, à l’époque, il n’y avait évidemment pas de photographie et que les portraits des grands de ce monde étaient totalement inconnus. Ce ne sont pas les effigies grossièrement frappées sur les monnaies qui pouvaient constituer une aide ; surtout que tout le monde n’avait pas de monnaie. Quant aux portraits, ils dépendaient du talent et de la sensibilité des artistes qui, de plus, étaient sommés de montrer leur commanditaire à son avantage. La suite, on la connaît. Défaite par les Bourguignons qui la revendent à leurs alliés anglais, elle meurt lentement à Rouen dans les douleurs insupportables des brûlures. À ce stade, il convient de rappeler que si les Anglais se réjouissaient de l’élimination de leur plus grande ennemie, c’est bien l’Église catholique qui l’a condamnée à mort pour avoir porté des habits d’homme et avoir prétendu recevoir l’inspiration du Ciel. L’Église détenait le monopole de l’inspiration divine et ne tolérait certainement pas une initiative individuelle. C’est ce que l’armée puis l’administration reprendront plus tard : la voie hiérarchique. Pour accéder à Dieu, il faut en faire la demande préliminaire à son supérieur immédiat qui en référera à celui dont il dépend. À son tour, il transmettra la demande au-dessus, si toutefois il estime intéressant de le faire. À chacune des étape, l’autorité pourra mettre un terme à la requête, de sorte que ça tourne court. Dans le cas où l’inférieur voudrait s’adresser directement à Dieu (souvent par ignorance des conventions), il encourrait les foudres des autorités intermédiaires qui craindraient, à chaque fois, de se voir sinon doublées, du moins mises à égalité avec un subordonné brillant. En général, ce genre d’initiative est sanctionné par un blâme sans que Dieu soit au courant de quoi que ce soit et, quand bien même, Dieu recevrait la version de ses collaborateurs habituels et entérinerait la sanction sans jamais connaître l’objet de la démarche. C’est une question de principe et de survie.

Pourquoi donc, parler ici de ce que tout le monde sait ? Tout simplement parce que, ces dernières années, la fête de Jeanne d’Arc qui réunissait, chaque deuxième dimanche de mai (autour du 16 mai donc), quelques catholiques sincères et des nostalgiques de l’ancien régime, s’est trouvée subtilisée par le principal parti d’extrême-droite. Sa haine du petit peuple l’a conduit à accaparer la petite Jeanne (passons car les récupérations sont courantes) et à la célébrer bruyamment le 1er mai, jour de la Fête des Travailleurs. Le Pen (puisque c’est de lui qu’il s’agit) avait parfaitement compris que la clique journalistique serait plus intéressée par ses vociférations, ses provocations, son défi à l’Église elle-même, que par les revendications syndicales et la défense des travailleurs. Ainsi, depuis plus de 30 ans, on a entériné la fête de Jeanne d’Arc le 1er mai. C’est dire la force de prescription de la télévision car, pour la plupart, information = télévision. L’Église continue de célébrer sa sainte le deuxième dimanche de mai, mais que pèse une Église en déclin, dans la discrétion de ses temples à moitié vides face à un parti agressif qui maîtrise parfaitement l’appareil médiatique ? On sait que les journalistes s’intéressent seulement aux trains qui déraillent et cherchent à soulever les pansements. S’ils le font, c’est qu’il y a demande du public ; ne l’oublions jamais. Toujours dans le genre religieux, à Paris, chaque 15 août, l’Église organise une grande procession (soumise à une demande d’autorisation en préfecture) qui réunit de nombreux fidèles mais les médias ne parlent que de celle de l’église traditionaliste et dissidente qui attire une poignée de fanatiques. Pour les téléspectateurs, peu au fait de ces péripéties, Jeanne d’Arc, le catholicisme en général, sont une manifestation publique de l’extrême-droite. Nous avons déjà, dans le passé, attiré l’attention sur le hold-up permanent de Le Pen sur les emblèmes et les symboles de la nation.

Hold-up permanent de Le Pen sur la France

On aurait tort de sourire à l’évocation de Jeanne d’Arc. Il est vrai que, au cours du siècle dernier, son supplice à mort sur le bûcher a souvent été moqué ; ce qui aurait aurait provoqué la colère s’il s’était agi d’une personnalité confessant une autre religion. L’œuvre de Jeanne d’Arc est d’avoir donné naissance au sentiment national. Auparavant, le royaume de France, déjà puissant, n’était qu’un fief parmi d’autres. En galvanisant les foules, en appelant à faire cause commune autour du roi et contre les Anglais, elle a fait prendre conscience de l’unité du peuple malgré les nombreux vassaux dont dépendent encore et pour longtemps les habitants du royaume. Ensuite, la petite Jeanne a inspiré de nombreux ouvrages et fictions. Toutes les figures historiques ne peuvent pas en dire autant. De plus, même les plus railleurs ne sont pas franchement hostiles mais il semble que ce soit un trait du caractère français que de se moquer de ses figures de références. Ça peut être drôle, comme Napoléon sur une baleine, tant que ça ne tourne pas à la haine de son passé qui semble la tendance lourde de notre époque et qui, là encore est tout à fait français car, partout ailleurs, on inculque une vision positive voire élogieuse de son histoire.

 

 

Parmi les autres anniversaires importants :

Boris Vian

https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/jazz/quatre-bandes-dessinees-celebrent-le-centenaire-de-la-naissance-de-boris-vian_3963771.html#xtor=EPR-919-[NLculture]-20200514-[content4]

 

Le France

https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/histoire-il-y-a-60-ans-le-paquebot-france-etait-mis-a-l-eau-a-saint-nazaire-par-le-general-de-gaulle_3960931.html#xtor=EPR-919-[NLculture]-20200514-[content9]

 

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