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la lanterne de diogène
20 avril 2013

Droit d'éventaire et enfumage

Ça y est, le grand étalage a commencé. Les ministres ont été sommés de publier l'état de leur fortune. Ça ressemble au concours de celui qui a la plus grosse. On retrouve la même impudeur et la même vulgarité. Ça intéresse le même type de personnes.

 

Le plus drôle, c'est qu'il s'agirait plutôt d'un concours à l'envers où le gagnant serait celui qui a la plus petite. Les Français méprisent l'argent et entretiennent avec lui des rapports psychotiques. C'est probablement le peuple du monde qui méprise le plus l'argent. Dans les autres pays de culture catholique, si l'on n'aime pas non plus l'argent, si l'on s'en méfie, au moins le considère-t-on comme un moyen pour sortir de la pauvreté. On ne l'adule pas mais on fait avec. On sait – car Weber l'a formalisé – que les protestants, au contraire, considèrent l'argent comme la marque de la récompense octroyée par Dieu sur Terre à ceux qu'il a choisis. Ailleurs, les avis sont partagés et lorsqu'on méprise l'argent, on y renonce carrément et l'on vit dans le dénuement grâce à la générosité d'autrui et à l'autarcie.

 

En France, on joue sur les deux tableaux. Le mépris s'affiche mais on ne répugne pas à en posséder et encore moins à en obtenir. Seulement, comme la société française est profondément inégalitaire alors que les Français sont soucieux d'égalitarisme, on tait l'argent qu'on gagne tant les rémunérations relèvent de l'irrationnel et, surtout, parce qu'on redoute la réaction des autres en apprenant l'état de sa fortune. On sait aussi que quoi qu'on dise, on soupçonnera un mensonge, une dissimulation, une malhonnêteté car on ne comprend pas pourquoi l'autre possède plus que soi.

 

À travail égal, que ce soit dans l'entreprise ou l'administration, deux salariés ne vont pas toucher la même chose. Ne parlons même pas de la différence de traitement, dans le privé, entre hommes et femmes. Un commerçant mettra en avant les charges qui pèsent sur son commerce, les prix qui augmentent, les clients qui dépensent moins ou vont dépenser ailleurs. Jamais il n'affichera sa réussite. Le paysan se plaindra de payer trop d'impôts. Les professions libérales aussi et, malgré l'ostentation de leur train de vie, assèneront à qui veut les entendre qu'ils sont « pris à la gorge » et qu'ils auraient mieux fait de choisir une activité salariée. Bref, aucun Français n'a d'argent mais tous paient trop d'impôts. En insistant un peu, c'est même l'argent qu'on donne au percepteur qui met dans un état de quasi pauvreté.

 

Avec une telle mentalité, on ressent très mal l'affichage de l'opulence de quelques uns, surtout parmi le personnel politique tant est grande en France l'idée selon laquelle ces gens-là vivent à nos crochets et ne travaillent pas beaucoup. Alors, quand l'un d'eux est pris en train de tricher, c'est l'hallali. Les autres sont sommés de dire que, eux, ils n'ont rien à cacher. Ceux qui possèdent le moins, semblent en rajouter. Ils ont à cœur de ne rien omettre : ni les kayaks, ni les vélos dans le garage. On s'amusera à inventorier les accessoires anodins comme autant de preuves de la modestie de sa condition. Comme, finalement, l'opinion publique est déçue car on aurait bien aimé pouvoir dire qu'ils sont pleins aux as alors qu'ils vivent comme la moyenne des Français, on leur trouve des poux dans la crinière. Comment, vous, une écologiste, possédez une vieille voiture qui pollue ? Si elle avait roulé avec un moteur hybride, on lui aurait reproché de favoriser l'industrie japonaise. Le patriotisme économique, tu connais ? Ceux qui possèdent des grosses berlines, on peut toujours ricaner sur l'air de « je vous l'avais bien dit qu'ils s'en mettent plein les poches avec nos impôts ». Cette surenchère dans la modestie (livret A, assurance-vie, pavillon en province, appartement obligatoire à Paris, héritage, crédit à rembourser) montre bien la gêne à parler d'argent car enfin, cet argent, les ministres ne l'ont pas volé. Même Cahuzac n'a pas volé l'argent qu'il a placé en Suisse. C'est l'argent qu'il a gagné par son travail. Ce qui est répréhensible et lui vaut d'être mis au ban, c'est qu'il l'a caché afin de le soustraire à l'effort national et à l'impôt. On déplace le problème, on mélange tout. Ainsi, on s'exonère de ne pas agir sur les vrais questions.

 

Élargissons le propos ; sinon, autant écrire sur Twitter. On apprend donc, que le ministre qui a la plus grosse fortune est M. Fabius, avec un patrimoine évalué à 6 millions. On se doute qu'il vit bien avec ça et qu'il n'a pas besoin de son salaire de ministre pour l'augmenter. 6 millions ! Une misère comparés aux 15 millions minimum du tirage du jeu « Euromillion » ! Or, il y a quelques semaines seulement, la cagnotte de ce jeu dépassait les 100 millions, soit 20 fois plus que la fortune de M. Fabius.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/11/14/25579277.html

 

À l'épicerie où je fais mes courses, il y a un point de vente de la Française des Jeux. En apprenant le montant du lot, je décidais de renoncer à jouer. Je ne saurais pas quoi faire d'une telle somme. Une dame me regarde avec terreur croyant avoir affaire à un fou. Pour me prouver sa bonne santé mentale, elle réplique : « moi, je saurais bien quoi faire avec ». Cet échange prétend seulement montrer que, à force de cacher ses revenus, son patrimoine, à force de mépriser l'argent tout en convoitant celui des autres, les Français n'ont plus aucune notion de la réalité. Avec 10 millions, donc beaucoup plus (4 millions, ça n'est pas rien, ça n'est pas 4 000 euros de plus) que M. Fabius qui vit dans l'opulence, on peut largement réaliser ses rêves et faire plaisir à ceux qu'on aime.

 

Beaucoup réclament le plafonnement des gains de l'Euromillion. Disons que 30 millions pourrait être la limite. Plusieurs gagnants à 30 millions feraient marcher l'économie autrement mieux qu'un seul à 100 million qui n'aura d'autre choix que de laisser la quasi totalité à une banque qui, elle, l'utilisera et sans qu'il en profite le moins du monde. En cas de cagnotte, on pourrait aussi imaginer un système dégressif au cas où les numéros n'auraient pas été trouvés. Ça attirerait encore plus de joueurs s'ils savaient qu'ils avaient des chances de décrocher un gain de consolation intéressant. Il faut croire que le système actuel arrange pas mal de monde. En plus, tous les joueurs persuadés qu'ils « sauraient bien quoi faire avec 100 millions », veulent continuer à y croire. En attendant, ceux-ci, plus pas mal d'autres, vont ouvrir des yeux grands comme des soucoupes en apprenant que des ministres possèdent plus d' 1 million de patrimoine. Ils sont comme ces braves gens qui reprochaient à M. Jacques Maillot de gagner 50 000 F par mois quand le Smic venait à peine de dépasser les 3 000 F grâce à la gauche mais que les autres PDG gagnaient plus du double.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2013/04/11/26903306.html

 

La conséquence de tout ce déballage, c'est une nouvelle erreur monumentale de communication. Le fond de l'affaire Cahuzac n'est pas le montant du patrimoine des ministres et du personnel politique en général. On pourra exiger des ministres qu'ils publient leur patrimoine jusqu'au nombre de petites cuillers en argent qu'ils ont hérité de leurs grands-parents, s'ils mentent, on en restera toujours au même point. Le fond du problème, c'est qu'il existe de moyens d'échapper au fisc, autrement dit à l'effort national. Le fond du problème, c'est que les sommes qui échappent au budget national doivent être compensées par les autres, au premier rang desquels on trouve les salariés et les revenus modestes, ceux-là même qui trouvaient, il y a peu, qu'une tranche d'impôts à 75 % pour les plus riches, c'était trop. Le matin même de cet étalage, soit quelques heures avant, le Ministre de l'Économie et des Finances, M. Moscovici, se vantait de participer à l'effort budgétaire en supprimant de son ministère 2 500 postes. Or, précisément, on réclame plus de contrôleurs non seulement pour vérifier les revenus des particuliers, des entreprises mais aussi du personnel qualifié et doté de moyens pour traquer les fraudeurs et les poursuivre à l'étranger. À quoi sert de connaître le patrimoine des ministres et du personnel politique ? À quoi sert, même, de connaître les revenus du capital des entreprises du CAC 40 ? On a envie de dire que ça ne nous regarde pas. Tant mieux s'ils ont du pognon ! Grand bien leur fasse ! Ce qu'il faut, c'est qu'ils acquittent l'impôt proportionnellement et qu'ils n'aient pas moyen de tricher avec le fisc. Ce qu'il faut, c'est que les tricheurs soient poursuivis.

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2013/04/11/26903306.html

 

Finalement, ce « choc de la transparence » apparaît pour ce qu'il est : une diversion destinée à nous distraire du fond du problème qui est l'évasion fiscale et les sommes qu'on doit prélever pour la compenser.

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Commentaires
C
Ce n'est pas idiot cet histoire de patrimoine de nos élus. Encore faut-il qu'on sache ce que possède un élu à son arrivée ET à son départ.<br /> <br /> On pourrait alors comparer et faire des calculs sachant que le salaire des élus est connu, et ainsi détecter les abus.<br /> <br /> Que tel ou tel ministre soit fortuné n'est pas un problème en soi, on ne va pas se lancer dans une course à la misère pour être plus facilement éligible (encore que la fonction de ministre ne soit pas un mandat électif), mais si le patrimoine d'un minstre, d'un député ou d'un maire s'accroti à une vitesse trop importante par rapport à ses revneus, là il y a un souci.<br /> <br /> Exemple Mr A déclare un patrimoine de 200 000 € et disons 3500 Euros sur son compte courant au moment de son investiture en tant que député. Si 5 ans après son patrimoine est monté à 3 millions il y aura de quoi se poser des questions, sachant qu'il gagne 13 000 € brut environ par mois (soit 780000 € bruts sur 5 ans) et qu'il a comme tout le monde des impots à payer et des charges salariales retenues sur sa fiche de paie.<br /> <br /> Plus de transparence et de moralisation entraîneraient, logiquement, moins de magouilles, de malversations et de corruption en tout genre.<br /> <br /> Mais bizarrement, les élus de gauche (bon sang!) se dressent devant cette propostion de moralisation (qui devaient aussi inclure la fin du cumul des mandats).
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