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la lanterne de diogène
29 juin 2012

Mort au collège

Encore une mort spectaculaire dans un établissement scolaire. Cette fois, il s'agit d'un collège. Elle intervient après des meurtres dans des lycées, le suicide de la prof de maths biterroise devant ses élèves sans parler de l'assassinat, ce printemps, de petites filles dans leur école maternelle devant leurs petits camarades.

Cette année scolaire a vu une hécatombe parmi les élèves et même les adultes.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/15/22349686.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/23/22443474.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/30/23888488.html

 

Un meurtre n'est jamais anodin. Quand il survient dans un établissement scolaire, il pose des questions qui ne doivent pas rester des thèmes de réflexion mais appellent des solutions urgentes.

 

Comment en est-on arrivé là ?

 

Ces morts spectaculaires montrent d'abord que l'établissement scolaire n'est plus – et depuis longtemps – sanctuarisé. On peut ironiser sur les débuts de « l'école laïque et obligatoire » avec ses écoliers en blouses sombres posant pour les photos bras croisés et l'air grave. On peut se moquer de ces instituteurs en blouses portant lorgnons sur le nez et tâchant de faire ânonner des tables de multiplication, des règles de grammaire entourés de murs où s'affichaient une carte de France, des planches botaniques et des maximes de morale républicaine. On peut détester cette école où l'on apprenait l'hymne national et le respect dû aux adultes. Nos élites parisiennes méprisent ouvertement les œuvres de Marcel Pagnol où il rapporte, notamment, comment un collègue de son père instituteur se vantait d'avoir eu, au cours de sa carrière, moins d'élèves condamnés à mort que son prédécesseur. Oui, on peut ironiser, se moquer. Quand on est incapable de mener un semblant de réflexion, c'est tout ce qu'on sait faire dans notre pays où la rigolade est devenue obligatoire.

 

Cette école qu'on fustige aujourd'hui marquait le début de l'éducation de masse et n'a pas produit de miracles. Ce n'était qu'un début et il fallait transformer l'essai. À partir du moment où, dans les années d'abondance qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, on pouvait parvenir au confort matériel, honnêtement, et sans forcément réussir à l'école ; à partir du moment où, avec la crise qui a commencé dès 1974, le chômage de masse a frappé tout le monde, l'école n'a plus représenté ce moyen de promotion sociale voulu par ses fondateurs. Dès lors, il n'y avait plus lieu de respecter ni l'institution, ni ses instituteurs, ni le lieu.

 

Dans ces années de confort matériel, on pouvait se payer le luxe de vouloir changer la société. Ça passe d'abord par la remise en cause de ses règles. S'il est sain de vouloir faire « bouger les lignes », comme on dit aujourd'hui, il est beaucoup plus dangereux de vouloir la suppression de toute contrainte si l'on n'a pas, auparavant, accompli un effort considérable pour créer un minimum de cohésion dans le groupe. Or, le groupe devenant de plus en plus large et divers, la tâche consistant à rendre cohérent l'ensemble est plus difficile. Si Rabelais pouvait prôner le « Fais ce que voudras », c'était parce qu'il pouvait se réaliser à l'intérieur d'un lieu presque clos et pour un groupe restreint qu'il était plus facile d'éduquer selon des principes humanistes. Rappelons que Rabelais a été l'un des principaux écrivains humanistes de langue française. Partout dans le monde il existe des communautés qui vivent paisiblement selon des règles admises par tous mais elles sont isolées et leurs effectifs réduits. C'est plus difficile à l'échelle d'une nation.

 

Depuis longtemps maintenant, l'école n'est justement plus un lieu clos ou presque clos. On a voulu « ouvrir l'école sur le monde et son environnement ». Ainsi a-t-on construit des écoles maternelles et primaires sans la moindre barrière, au milieu des cités ou des lotissements d'habitation. Les passants pouvaient évoluer parmi les élèves en récréation. Ailleurs, on a fait tomber les murs. Sympa de voir les enfants jouer dans la cour à travers une simple clôture (quand clôture il y a) ou une haie ! Sympa ces fenêtres sans ces vilains grillages qui faisaient ressembler les écoles à des prisons ! Le problème, c'est que, dans cette configuration, on ne peut plus jouer au ballon de crainte de casser les vitres ou qu'il tombe dans la rue ou qu'un passant ne le reçoive en pleine figure. Donc, on interdit le ballon et tout ce qui constituait un défouloir.

 

Lorsque l'école était fermée, elle était sanctuarisée. N'y pénétrait pas n'importe qui pour n'importe quoi. La présence d'un adulte étranger était remarquée : il y avait des travaux ou bien c'était pour la visite médicale ou la photo de classe. Le dogme de l'ouverture avec sa connotation extrêmement positive met l'école au niveau de l'environnement. Toujours cette tendance à niveler. L'ouverture signifie que l'école n'offre plus un espace protecteur à ses éléments. Les parents rentrent comme ils veulent et peuvent frapper l'enseignant qui leur a déplu. Les copains d'un élève peuvent entrer pour corriger en nombre un autre élève en litige avec le premier. Certes, ces règlements de compte pourraient être transposés dans la rue après les cours et ça ne ferait que déplacer le problème de fond. Certes mais l'impact n'est pas le même. En prenant le risque d'ouvrir l'école, on a pris aussi le risque de ne plus assurer la protection des enfants et, éventuellement, de leurs responsables pendant le temps scolaire. En d'autres termes, la société a choisi de ne plus protéger ses enfants.

 

Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit d'une bagarre interne, sans intervention venue de l'extérieur. On peut même ajouter sans intervention du tout puisque personne n'a pu arrêter le geste du jeune meurtrier envers son cadet.

 

Coïncidence, il y a peu, une dame me rapportait les propos d'un copain de son fils qui affirmait tranquillement ne pas hésiter à frapper une fille ou un plus petit ou un vieux. La dame s'inquiétait qu'il n'y ait plus de respect. Pour ma part, je me contenterai de souligner l'absence de règles. Ça paraît lointain à présent mais un temps a existé ou même la bagarre avait ses règles que seuls enfreignaient quelques exceptions connues. Les règles, consistaient notamment à ne pas frapper quelqu'un à terre, à ne pas frapper plus faible que soi (un petit ou un vieillard), à ne pas frapper une femme et, finalement, à ne pas s'acharner. Dans une société qui nivelle tout, malgré les beaux discours sur les différences, il n'y a pas de raison d'hésiter à frapper quiconque. Dans une société qui magnifie la contestation de l'autorité, le jeune qui désobéit à la règle, qui désobéit à un adulte de référence est légitimé.

 

il n'est que de voir comment la contestation était organisée dans les années d'après-guerre et même après Mai 68. Les contestataires appartenaient à des groupes organisés où régnait une discipline de fer. Il n'y avait pas plus ordonnés que les anarchistes, par exemple. Or, tous ces mouvements ont été réduits à des groupuscules et la contestation n'est plus ni organisée ni canalisée. La contestation elle-même s'est déplacée. On ne revendique plus une société meilleure mais une place pour soi et pour les siens dans une société qui offre des artifices très attirants. Ces artifices, souvent inaccessibles pour nombre d'entre les jeunes, offrent l'avantage de ne demander aucune réflexion, aucune remise en cause de la société, aucun effort.

 

Parlant de règle, dans http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/03/28/23873269.html

 

je constatais la difficulté pour faire changer les règles quand elles ne sont plus adaptées. Les dernières élections nous montrent bien que le changement à la tête de l’État sera faible et portera surtout sur le style et les personnalités mais très peu sur le fond à part quelques changements d'ordre sociétal qui concerneront quelques minorités.

 

Dès lors, tout le monde revendique d'enfreindre les règles qui ne lui convienne pas et trouve des échos favorables à cette revendication légitimée. On prône l'absence de règles dans tous les domaines, la dérégulation en matière financière et économique et l'on s'étonne qu'au bas de l'échelle sociale, les individus ne se sentent plus contraints par des règles qu'ils n'ont d'ailleurs jamais apprises car il est de bon ton de la part des enseignants, de ne pas paraître imposer les règles de la société qui l'emploie pourtant. Tout ce qui a été entrepris pour affaiblir l’État et son autorité dans les divers domaines de son champ d'application, que ce soit économique, administratif ou sociétal, conduit à une régression. Cette régression peut se résumer à cette formule : là où la loi a été supprimée, n'existe plus, c'est le pouvoir du plus fort qui a pris le relais. Dans la société, là où la police est absente, là où l'autorité du maitre ne s'applique plus, ce sont les poings qui s'imposent et la terreur qui règne. La terreur prend vite le relais quand les mots sont incertains, approximatifs, mal compris. La terreur prend vite le relais quand la beauté laisse la place à la technologie et aux machines.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2012/01/16/23255832.html

 

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/10/16463468.html

 

Lorsque l'information de ce nouveau meurtre a été présentée, on a pu entendre qu'un enfant de 13 ans a été victime d'un autre « à peine plus âgé ». Comme si trois ans de différence comptaient peu à ces âges-là. Tous ceux qui ont des enfants voient bien qu'on n'est pas tout à fait pareil à 13 ans et à 16 ans. La force de l'ainé n'a rien de comparable avec celle du plus jeune. Ce n'est pas comme s'ils avaient 23 et 26 ans. Seulement, l'exaltation de la jeunesse, la volonté de faire des plus jeunes des consommateurs, des acteurs de leur propre vie conduit à faire passer l'idée qu'on est un homme à 13 ans. Donc, on peut s'acharner sur lui. Voilà un effet direct du nivellement. Les jeunes sont compris de manière indifférenciée dans un groupe plus large où on ne les voit que comme consommateurs.

 

La crise impulsée dès 1974 et organisée par le système capitaliste pour anéantir tous les mouvements de revendication a des effets pervers. En organisant le chômage de masse, on prive de moyens de vivre dignement des pans entiers des populations et personne n'est à l'abri. Justement, au cours des fameuses « Trente Glorieuses », les élèves qui décrochaient pouvaient trouver un travail et commencer à vivre de façon autonome. Au cours de ces années, on a pu constater que la scolarité traditionnelle n'était plus la promesse d'une vie matérielle meilleure. Avec un boulot commencé tôt, on pouvait rapidement s'acheter une voiture (signe de réussite à l'époque du tout-automobile) puis, avec un crédit allégé en partie par l'inflation, on pouvait fonder un foyer et s'acheter un logement. Pendant ce temps, ceux qui réussissaient à l'école devaient attendre la fin de leurs études et dépendaient encore de papa-maman. Dès lors, les études mêmes secondaire ont revêtu un aspect différent en ce sens qu'elles n'apportaient plus nécessairement la réussite sociale et matérielle. Dans ce contexte de crise, l'école a perdu de sa crédibilité alors que la contestation de toute forme d'autorité s'amplifiait. Avec des salaires modestes mais sûrs et permettant de vivre correctement, les enseignants ont perdu de leur respectabilité aussi sur le plan matériel face à des élèves qui rêvent de grosses voitures et de vêtements de marque. Les enseignants, en marquant leur mépris pour ces artifices ont creusé un fossé avec leurs élèves et perdu un peu plus d'autorité alors que les connaissances traditionnelles dont ils sont les parangons ne sont plus

aussi utiles que par le passé. On ne va pas respecter quelqu'un qui vous apprend des choses qui paraissent inutiles et dont le rôle paraît de plus en plus comme un gardien chargé d'occuper les élèves pendant les journées avec tout ce que ça comporte de connotation répressive inacceptable à l'heure de l'absence de règles.

 

Il s'est passé plus de deux ans entre le premier meurtre dans un établissement scolaire à nous avoir interpelé

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/10/16463468.html

 

et celui du printemps dernier http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/01/10/16463468.html

 

et trois mois seulement avec le précédent. À quand le prochain ? Dans un mois, dans quinze jours ? Où se passera-t-il ? Dans une école primaire la prochaine fois ?

Comme on n'en est plus à une contradiction près, des parents qui tolèrent, dans une relative indifférence, les meurtres dans les établissements scolaires, engagent des procédures contre l'administration scolaire pour le moindre accident, pour le moindre bobo qui nécessite un simple pansement, pour le moindre mot de travers dans la bouche d'un professeur. Dans ce domaine de l'indifférence, l'administration n'est pas en reste non plus puisqu'elle minimise chacun de ces actes incroyables en avançant des « raisons personnelles ». Le principal syndicat des enseignants lui emboite le pas et renvoie les victimes ou leurs proches à leur peine solitaire et qui exonère les adultes de référence et la société d'une réflexion qui remettrait en cause son fonctionnement. Si des actes de contestation sont volontiers légitimés, pas question de remettre en cause des situations qui apportent des avantages à ceux qui sont installés, quitte à nourrir le sentiment d'injustice qui trouve souvent un dérivatif dans une violence qui s'exerce ailleurs.

 

La société qui ne réfléchit plus sur la mort de ses membres et des membres les plus jeunes est une société indifférente et prête à accepter toutes les contraintes pourvu qu'elles soient présentées avec un emballage attractif.

Déjà, la société qui s'était mobilisée en 1954 après la mort d'une femme sur un boulevard de Paris ne bouge plus lorsque 264 personnes meurent dans les rues, sous nos yeux, au cours des six derniers mois. La société commence à accepter que certains malades ne pourront plus être soignés faute de moyens. Ça commence avec, notamment, les remboursements de médicaments plus faibles ou supprimés. Aucun candidat à la Présidence, aucune formation politique pour les législatives n'a abordé ces questions. Désormais , la société traite avec indifférence la mort d'un petit pendant le temps scolaire et dans une enceinte scolaire. Nous assistons à cela et nous ne bougeons pas ou si peu.

 

Dans les années d'expansion, caractérisées par le tout-automobile, on a pris l'habitude de l'indifférence face aux morts dans les accidents de la circulation. C'était le prix à payer au confort nouveau qu'offrait la croissance.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/05/28/21249119.html

 

Encore aujourd'hui, toute mesure visant à protéger les usagers de la route passent pour de la répression et l'on n'hésite pas à interpeler son député et les partis politiques pour exiger l'abrogation des mesures de protection. Alors que la crise bat son plein, on a pris l'habitude de l'indifférence face aux personnes qui vivent et meurent dans nos rues.

http://lanternediogene.canalblog.com/tag/morts%20dans%20la%20rue

 

On détourne le regard de crainte de se voir bientôt à leur place. On en profite. Maintenant, va-t-on aussi prendre l'habitude de l'indifférence face aux morts dans les écoles ? Nous sommes fondés à le croire puisque, une semaine après les faits, on n'en parle déjà plus. Un grand ado a frappé puis étranglé à mort un plus jeune, sous les yeux des autres de quelques adultes mais, à part ça, tout va bien.

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