Comment peut-on ... aller en Iran ?

29 juillet 2015

L’Iran est quand même un drôle de pays. Il existe sous sa forme plus ou moins actuelle et cohérente depuis au moins 3000 ans. Ce sont aussi 3000 ans de guerre presque continue. Guerre contre les Grecs, contre les Assyriens, les Mèdes, les Babyloniens et surtout, après, guerre contre les Arabes. Une partie de sa population a émigré vers le sous-continent indien, contribuant à donner à la péninsule son aspect actuel. Seulement, malgré les guerres et pendant que ses voisins s'entre-déchiraient, que les empires tombaient, la Perse rayonnait. On a trouvé des traces d'utilisation d'une écriture datant d'environ 5 000 ans. Il faut dire que le berceau de l'écriture est à proximité mais quand même. La Perse construisait des monuments qui attestent de la qualité de sa civilisation. Il faut remarquer aussi que, au contraire des Arabes, les Iraniens sont fiers de leur passé pré-islamique. Pour eux, la conversion à l'islam prouve le long cheminement d'un peuple brillant et éduqué. Au contraire des Arabes et des sunnites en général, qui renient leur passé et, à l'occasion, détruisent les preuves de ce passé. L'empire perse a traversé les vicissitudes de l'Histoire, ce qui donne à l'inconscient collectif une certaine confiance.

L'Iran, fait partie de ces pays que les siècles ont préservé et pour tout dire mis à part. C'est un peu comme l’Éthiopie en Afrique. Ouvrons brièvement cette parenthèse puisque ce pays vient d'être mis sur le devant avec la visite du Président Obama. L’Éthiopie est le seul pays d’Afrique à n’avoir pas été colonisé. C'est aussi un des plus vieux pays chrétiens au monde et il est au milieu de terres d’islam. Des légendes courent au sujet de la dynastie qui a régné. Sur un continent marqué par l'oralité, l’Éthiopie utilise une écriture depuis des siècles et s'est même payé le luxe d'en changer au cours des siècles après l'abandon du guèze. C'est le pays où a été fondée l’OUA et dont la capitale abrite toujours le siège de l'Union Africaine. C'est dire que, malgré les plaies de la période contemporaine, de la dictature, de la famine, il conserve son prestige et force l'admiration de tous les peuples du grand continent. Autre bizarrerie, les Abyssiniens, qui forment la majorité de la population, ont la peau noire mais présentent plus de ressemblances génétiques avec les Blancs qu'avec les autres Noirs. Curieusement, malgré l'éloignement et l'enclavement, tout le monde a entendu parler de ce pays puisque le reggae le mentionne tout le temps et que le café viendrait de là-bas. Surtout, l’Éthiopie est considérée comme le berceau de l'humanité toute entière.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2013/08/28/27911152.html

L’Iran en est un peu le pendant oriental. Il n'a jamais été colonisé non plus malgré les appétits des Anglais, toujours préoccupés de leur approvisionnement en pétrole et de la continuité de la route des Indes. Sur le plan religieux, c'est le berceau de nombreux cultes qui ont influencé les autres. Le plus connu est le zoroastrisme et, avant, le manichéisme. Quand le pays était chrétien, il était nestorien. Devenu musulman, il est chiite. À croire qu'il est impossible à un Iranien de se conformer à ce que font les autres. Pourtant, il est entouré de voisins sunnites qui voient mal ces hérétiques avec qui il faut quand même traiter. Ils sont aryens alors que l'ouest est sémite avec les Arabes et les Juifs un peu plus loin et que l'est est turc ou était turc puisque les seldjoukides sont allés envahir l'Anatolie et la Palestine. Comme on est en Orient, tout paraît compliqué pour nos pauvres esprits occidentaux toujours à la recherche de ce que nous appelons la logique. Donc, bien que chiites et donc hérétiques, c'est la réaction iranienne de 1979 qui a marqué profondément le renouveau de l'islam traditionnel et le retour des signes ostentatoires de l'appartenance à l'oumma, la communauté musulmane universelle ainsi qu'à la fierté qui est vite devenue arrogance.

Dans les mois, les années qui ont suivi la prise du pouvoir par l'ayatollah Khomeini, ici, on ne tarissait pas de termes péjoratifs pour qualifier le tchador qui passait pour le comble de l'accoutrement religieux. On sait, depuis quelques années, que le tchador n'est qu'un simple foulard qui couvre les cheveux, et encore. Néanmoins, on a pris l'habitude de stigmatiser l'Iran, et le terrorisme qu'il exportait n'a rien fait pour améliorer les choses. Ainsi, on a pris fait et cause pour Saddam Hussein dans sa guerre contre l'Iran, et pour l'Arabie saoudite qu'on a un peu vite reconnue comme chef de file du monde musulman tel qu'on l'aime. Jusqu'à aujourd'hui, on feint d'ignorer que ce pays a financé et armé les talibans afghans et que les terroristes du 11 septembre étaient presque tous saoudiens. Après ce qu'ici on a appelé « la première guerre du golfe » (celle de 1990), les commentateurs glosaient sur l'évolution inévitable qui se ferait en Arabie saoudite puisque, déjà, selon eux, les troupes de la coalition ayant foulé le sol de la péninsule, cela créait forcément un précédent. En fait, l'Arabie a soldé ses comptes avec la coalition, la ramenant à son rôle de mercenaire. Elle a interdit, depuis, aux femmes de conduire et il n'est toujours pas possible à une femme seule de louer une chambre d'hôtel dans ce merveilleux pays. En Iran, la chose a toujours été possible et les femmes ont toujours joué un rôle important dans la société même avec le retour de l'intégrisme. L'Iran qui était un peu le phare du monde musulman et le prescripteur a perdu ce rôle, dépassé par des groupes autonomes et fanatiques soutenus d'une manière ou d'une autre par ceux que les occidentaux considèrent, contre toute évidence, comme leurs alliés. Il ne tient qu'à l'Occident que l'Iran redevienne prescripteur avec sa jeunesse qui aspire à l'ouverture.

L'Iran n'a jamais joué ce double jeu mais sa sincérité a toujours été mal vue. Pourtant, chose rare dans ce Moyen-Orient, on trouve sur le territoire iranien des églises de toutes les confessions chrétiennes orientales et latine et nombre de synagogues car la communauté juive a pu demeurer. Qu'importe, personne ne connaît ces chrétiens d'orient un peu bizarres et il y a longtemps qu'on s'est habitué aux aléas des communautés juives. Notons aussi qu'il n'y a pas de mosquée sunnite et que la foi bahaïe est persécutée. La foi bahaïe, née en Iran d'un Iranien prétend prendre ce qu'il y a de meilleur dans chacune des religions du Livre. Tout comme l'espéranto qui se veut universel, le bahaïsme réussit surtout à faire l'unanimité contre lui mais c'est encore une religion typiquement iranienne.

Toujours borné, l'Occident a persisté dans la mise au ban de l'Iran, privilégiant ses relations avec les monarchies pétrolières du golfe y compris les plus tordues. Il faut dire que les gouvernants ne sont pas bien inspirés mais les opinions publiques (y compris et surtout les éduquées et progressistes) non plus et se gaussent de toutes les avancées opérées par des petits émirats tandis que l'Arabie saoudite est toujours l'allié privilégié et admiré. Dernièrement, on s'est encore réjoui de la vente d'avions de chasse à cette dictature et de la construction de centrales nucléaires. De qui se moque-t-on ? À qui va-t-on faire croire qu'un pays se dote de la technologie nucléaire pour éclairer ses maisons et faire fonctionner ses machines ? Les pays qui acquièrent cette technologie sont, pour la plupart, des pays disposant de sources d'énergie, en général le pétrole qu'ils exportent. En revanche, la plupart d'entre eux sont des pays belliqueux ou qui craignent une menace. À qui pouvait-on faire croire que Kadhafi voulait des usines atomiques pour désaliniser l'eau de mer ? La Libye regorge de pétrole, dispose d'un vaste territoire désertique qui brûle sous le soleil et sa population vit principalement sur les côtes exposées aux vents. Il y a assez d'énergies renouvelables pour tout le monde. Seulement, il a été décidé que certains pays ont le droit à la technologie nucléaire – on feint alors d'ignorer ce qu'ils vont en faire quand bien même on fournit des ingénieurs et des physiciens spécialisés – et d'autres pas. La Libye était dans ce deuxième groupe avant que Kadhafi ne fasse amende honorable et soit admis dans la bonne colonne du classement. Malgré l'Afghanistan, malgré le 11 septembre, malgré le wahhabisme qu'elle exporte en Afrique avec imams et mosquées clés en main, l'Arabie saoudite s'est toujours trouvée dans la bonne colonne. L'Iran était encore dans la mauvaise jusqu'à ces derniers jours. Maintenant, il aura le droit de développer ses centrales atomiques et même plus. Il ne s'en privera pas et rien ne pourra l'en empêcher.

Le chef de la diplomatie française, M. Laurent Fabius se rend en Iran, à l'invitation de son homologue. Fort bien. Les Français ont pris du retard sur l'Allemagne dont le ministre avait déjà fait ses valises pour Téhéran avant même la signature de l'accord. L'Allemagne qui vendait ses produits chimiques à Saddam Hussein et ses voitures à l'Iran d'après Homonyme a toujours gardé le contact et bénéficie, comme toujours, de l'amitié et de la bienveillance de l'hyper-puissance. Les grosses berlines dans les rues des grandes villes témoignent de la présence allemande.

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/visite-de-laurent-fabius-pourquoi-l-iran-attire-tant-les-occidentaux_1702268.html?PMSRC_CAMPAIGN=20150729081601_31_nsl_nl_lexpress_quotidienne_55b86f68d3860b2b318b4567&xtor=EPR-181-[20150729081601_31_nsl_nl_lexpress_quotidienne_55b86f68d3860b2b318b4567_00168Y]-20150729-[Voir_00388SW]-[RB2D106H0014YR9J]-20150729061900#PMID=bWVyaWVtYmVuaXNAeWFob28uZnI=

Si les Français avaient un peu plus conscience des symboles et foi en leur propre pays, ils auraient relevé que les Iraniens ont tenu à signer le nouveau traité le jour du 14 juillet. C'était un appel du pied à la France qui ne l'a pas compris. La France est bien vue en Iran. Nombre d'Iraniens sont venus étudier à Paris autrefois. L'Ayatollah Khomeini était en exil ici et personne n'a oublié que le Président Giscard a fermé les yeux sur ses activités tout à fait illicites pour un réfugié tenu à un minimum de réserve. Les États-Unis auront toujours leur part du gâteau et prendront même la plus grosse le moment venu. N'en doutons pas un instant. Seulement, une puissance secondaire comme la France ne peut pas se payer le luxe d'attendre. En favorisant systématiquement le monde sunnite et en fournissant des armes aux ennemis de l'Iran, la France joue un jeu dangereux. Non seulement les extrémistes sunnites ne seront jamais les amis de la France mais, en plus, les Iraniens et leurs féaux sauront s'en souvenir. La France garde une place dans le cœur des Libanais. S'ils s’aliènent l'hostilité des chiites, elle perdra plus que des parts de marché. Restons au Liban pour rappeler que le Hezbollah est la seule formation militaire a avoir infligé des revers à l'armée israélienne et que des bonnes relations avec l'Iran apaiseraient un peu les tensions de côté-là. Le Hezbollah est aussi en première ligne pour défendre le dictateur alaouite Assad et, ce faisant, particulièrement efficace contre daech. Il faut bien se rendre à l'évidence, l'Occident a choisi délibérément le camps sunnite et accepte les exactions de ses éléments les plus dangereux. Comment expliquer, alors, que daech se soit organisé et équipé en un temps record et ait pu progresser en plein désert sur des centaines de kilomètre jusqu'à Palmyre sans être inquiété alors que des dizaines de satellites sont braqués sur la région ? Jeu dangereux. Si les talibans, al-Qaïda, daech et autres monstruosités rappellent sans arrêt les croisades pour justifier leurs exactions, à plus forte raison les populations tranquilles sauront rappeler les choix insensé de ses dernières années par les puissances occidentales.

La visite du ministre Fabius va dans le bon sens, évidemment, seulement il s'en faudra de beaucoup pour qu'elle puisse inverser le sens des mauvaises habitudes prises depuis 31 ans. Il en faudra encore plus pour que l'Iran soit reconnu comme l'allié naturel du monde occidental et la passerelle incontournable entre l'Orient et l'Occident.