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la lanterne de diogène
18 septembre 2019

La langue pour survivre (expression et exclusion 3)

Depuis des mois, nous avons entrepris de noter quelques fautes de français entendues ici ou là mais principalement à la radio, média de l’oralité, donc de la transmission. Ne parle-t-on pas de « langue maternelle » ? Désormais, pas un jour ne passe sans entendre une ou plusieurs fautes et pas dues à l’étourderie, l’emballement mais bien à une ignorance du vocabulaire et des règles élémentaires de la grammaire, c’est à dire du fonctionnement de la langue. Ces fautes relevées ne sont plus exceptionnelles. Les conversations courantes évoquent ces entorses au langage courant car, il ne sera question ici que de la langue ordinaire, celle qui sert à la communication courante, dans la famille, au travail, à l’école. C’est bien là que réside le problème. L’appauvrissement du vocabulaire, sa réduction à quelques grands mots auxquels on attribue plusieurs sens au moyen de guillemets, la grammaire approximative sont autant de facteurs qui réduisent les capacités de réflexion et limitent les propos à la satisfaction des besoins primaires. Évidemment, la méconnaissance du vocabulaire, du mot adapté à la situation est source de conflits. Les adolescents multiplient ce qu’ils appellent les embrouilles, faute de connaître le sens des mots et suspectant une mauvaise intention de leur interlocuteur. Ce n’est donc pas aussi anodin qu’il y paraît et ça ne relève pas de la défense d’une langue liée à une classe dominante qu’il serait sain de combattre. Depuis une bonne trentaine d’années, on anticipe sur les conséquences d’un mot mal employé en apposant des guillemets partout, au point qu’on a même développé un geste consistant à accompagner, à l’oral, une expression vague ou inexacte ou imprécise par un mouvement des deux doigts des deux mains, imitant la mise entre guillemets. Les lacunes se trouvent ainsi entérinées et acquièrent le statut de norme. Qu’on n’objecte pas qu’on simplifie la langue. Appauvrir ne veut pas dire simplifier. Un exemple de faute qui n’apporte rien et qui complique : quand, pour donner l’heure, on en rajoute et qu’au lieu de dire simplement, il est 10 h (et) 20s, on dit : « il est 10 h passées de 20s. ».

 

decor_apostrophe

Il n’existe probablement aucun corps d’enseignants au monde, sauf en France, qui apprend sciemment à ses élèves à détester l’État qui les emploie et même leur pays. Les instituteurs persuadent leurs élèves que le français est la langue la plus compliquée et la moins logique du monde. Il arrivent au collège en détestant le français et tout ce qu’il draine : l’orthographe, bien sûr, la grammaire (ou ce qu’il en reste) et la littérature. Cette détestation accompagne l’échec scolaire et lui donne une légitimité. On comprend que, adolescents, ils chantent en anglais et adultes ils parsèment leurs propos de mots anglais (globish en fait).

[relire les commentaires de La culture pour survivre ]

Les enseignants et notamment les instituteurs ne possèdent pas eux-mêmes un minimum de connaissances en histoire de la langue (pour expliquer l’orthographe), en linguistique, en phonétique et ne comprennent pas eux-mêmes les règles qu’ils sont censés transmettre et expliquer. D’ailleurs, la grammaire, devenue ORL (observation réfléchie de la langue) est devenue une activité déconnectée de la finalité de la grammaire qui est de comprendre les relations entre les mots qui forment une phrase et, au-delà, qui est d’en comprendre le sens. Ils s’en sortent en décriant la langue française et en assénant des conclusions définitives et spécieuses. Qu’ils soient désormais « professeurs des écoles » depuis qu’ils sont recrutés au niveau de la licence n’y change rien. Au contraire, les écoles d’instituteurs d’autrefois dispensaient aux nouveaux bacheliers des connaissances qui s’enrichissaient tout au long d’une carrière et une solide formation pédagogique. Maintenant, les élèves ont appris et intégré des formules aussi péjoratives qu’absurdes comme : « le 3e groupe de conjugaison, c’est la poubelle » ou « maintenant, on a le droit de dire «z’haricots » ». Rappelons que ça fait au moins 30 ans qu’il y a tolérance à ce sujet mais que, paradoxalement, les liaisons sont déconseillées. Liaisons, donc, quand avant il n’y en avait pas mais absence de liaison partout ailleurs ou alors, liaisons différées comme on entend communément. Autrement dit, il y a encouragement par les enseignants à s’affranchir de toute forme de règle.

 

Quelques exemples relevés :

les - Zeuropénnes

les températures vont - Tévoluer

ses - Zémotions

parvient à nous – Zémouvoir (émotions, émouvoir sont fréquents à l’heure où l’irrationnel domine et donc le Zé devant)

dans des affaires – Zindividuelles

quand ce n’est pas :

vingt-huit - Zartistes

petite femme, Zyeux bleus, (Claude Askolovitch)

il n’avait jamais fait - Zaussi chaud

Passons sur les ‘va Têtre’ car on n’en est plus là

 

Il suffit d’écouter Mme Sonia Devilers pour entendre un festival quotidien de liaisons différées (nonobstant la qualité de ses interventions).

Ça veut dire que le discours est haché, interrompu par des pauses injustifiées et suivies de ces liaisons différées. Parlant de discours haché, on en arrive aux problèmes de lecture. Comment expliquer que, l’intonation scolaire, telle que moquée il y a plus de 60 ans par Jacques Bodoin (donc inconnue de la population actuelle) resurgisse depuis quelques années ? Nous n’avons pas la réponse mais elle doit forcément être cherchée dans les méthodes d’apprentissage de la lecture et la manière dont l’exercice de lecture est perçu puis présenté par les enseignants eux-mêmes. Or, les problèmes de lecture, de liaisons dangereuses ne sont pas le seul fait des plus jeunes adultes. On observera que les autres, qui ont appris leur langue à une époque antérieure sont comme contaminés et adoptent ce langage fautif et approximatif, comme si l’on éprouvait une culpabilité à s’exprimer correctement dans l’environnement linguistique actuel.

 

On ne peut plus cacher que la lecture n’est pas maîtrisée. Jusque là, les 10 % estimés illettrés n’étaient pas visibles ou, du moins, pas audibles. Ils étaient envoyés à la marge et y demeuraient. Ils ne faisaient pas de bruit. Désormais, on entend cette élocution scolaire telles qu’elle était caricaturée, autrefois, dans les sketches de Jacques Bodouin. Que ce soient, les journalistes, les acteurs qui lisent des publicités, on subit ce ton artificiel et saccadé. Les nombreux chroniqueurs qui ont envahi les antennes depuis des lustres, n’arrivent même plus à lire leurs propres billets. Ils achoppent sur tout, s’emmêlent, ont du mal à passer d’une ligne à l’autre. Comme à ce niveau-là, ce ne sont pas des petits jeunes, ça veut dire que ça vient de loin. Quand Inter organise des opérations avec des collégiens, nous avons une bonne photographie sonore de l’ampleur du désastre. Or, non seulement ça passe (alors que ça devrait inquiéter) mais en plus, sur les réseaux sociaux, gare à ceux qui ont osé faire remarquer les lacunes de ces collégiens. Toutes les excuses sont bonnes : impressionnés par le micro, la pression. Tout cela ne tient pas, naturellement, puisque les mêmes collégiens, lorsqu’ils n’ont pas à lire, s’expriment spontanément et ne se montrent nullement impressionnés par le micro et même, sans doute, la caméra. De toute façon, ils sont nés avec. Ils passent leur temps à communiquer, ils utilisent la visioconférence et ne se troublent pas pour ça. Malgré tout, les adultes en question, qui ont encore pouvoir de décision projettent sur eux leurs propres craintes et s’en servent pour ne pas remettre en question leur éducation qui a failli. Car, il est bien évident que les ados et les jeunes adultes ne sont nullement responsables de leurs lacunes et autres difficultés d’expression dans la mesure où on ne leur a pas donné les bases et les outils pour les maîtriser. Donc, on n’est pas près d’inverser la tendance puisque, selon eux, tout va très bien et seuls ceux qui pensent le contraire ou qui demandent simplement qu’on pose la question doivent être disqualifiés et condamnés. Qu’on se souvienne que la précédente Ministre de l’Éducation nationale avait traité de « pseudo-intellectuels » des agrégés de philosophie (excusez du peu) qui avaient critiqué sa politique. Quand on pense qu’elle participe, à présent, à des croisières à prétention culturelle organisées par un grand hebdomadaire ! La langue française qui est défendue dans les autres pays francophones comme un trésor qui soude la culture d’une population, souvent entourée d’adversaires linguistiques, est sapée sur sa terre d’origine. Comment ne pas s’interroger quand on voit qu’en Louisiane, le bilinguisme autorisé depuis quatre ans a donné un élan au français et que nombre d’Afro-américains suivent des cours pour en faire la langue de leur groupe ethnique ?

https://www.geo.fr/voyage/francophones-de-louisiane-les-cadiens-font-de-la-resistance-194131

 

La gauche qui a renoncé à son héritage, ses valeurs, qui a opté pour la défense des minorités et l’intégration européenne, qui a capitulé devant les minorités et les instances européennes, refuse de défendre l’instruction publique qui fait partie des valeurs républicaines et qui pourrait être le dernier rempart face à la pensée unique et à l’obscurantisme. En fait, elle masque son impuissance en arguant que ce serait dirigé contre les jeunes. Or, précisément, on expose les jeunes à toutes sortes de manipulations en refusant de leur donner les outils pour exprimer leurs réflexions, pour accéder à la connaissance livresque, pour penser par eux-mêmes et développer leur esprit critique ; esprit critique qui pourrait, éventuellement, servir à remettre en cause un système qui devrait théoriquement être combattu par la gauche.

 

Autre série de fautes, devenues la norme depuis une vingtaine d’années, c’est cette sorte de style indirect libre qui consiste à introduire un mot interrogatif dans une phrase affirmative :

ça nous amène à réfléchir sur comment on doit faire et pourquoi on

c’est poser la question de comment on peut

on se pose la question de qu’est-ce que c’est que d’être une femme (sic)

pour connaître c’est quoi travailler

Je sais pas tout qu’est-ce que j’ai fait

On se bat pour c’est qui qui doit aller là-haut.

 

On pourrait penser que ça simplifie mais on voit bien qu’on obtient des phrases compliquées et incorrectes à force d’instiller des corps étrangers dans la phrase banale.

C’est ainsi qu’on dit aussi « ce qu’il » au lieu de « ce qui »

Le vocabulaire n’est pas en reste. On observe une sorte de langage bébé consistant à inventer des mots en surajoutant des suffixes à un mot plus courant.

Exemple : quinzomadaire. On ne dit pourtant pas semanomadaire. En revanche, on dit bi mensuel et c’est pas plus long ni à dire ni à écrire, au contraire. Il y a comme une fascination qui tourne parfois au culte de la transgression mais c’est bien à une régression que nous assistons, dans ce domaine comme ailleurs. La transgression donne à certains l’impression qu’ils pensent.

 

Comme mieux vaut en rire, finalement, terminons ce tableau navrant par quelques expressions détournées ou mélangées et quelques fautes de prononciations ou autres embrouilles :

Je lis pas dans le marc de cristal

« tous les écrans de Navarre » (Sonia Devilers)

C’est lié à comment on a regardé une série

ils sont toujours ‘arqueboutés’ sur …

on a fêté les un an de…

sans liaison, bien entendu au contraire de ‘les uns et les autres’

décrédibiliser

« Il n’est de musique écoutable qu’allemande » (Jean-Luc Mélenchon)

 

Les quatre coins de l’hexagone ont été dépassés depuis bien longtemps…

Au fait, comment prononcer ces trois noms : ‘Megane’, ‘Logan’, slogan ?

Comment s’y retrouver si pour chaque mot, il y a une règle différente ou, plutôt, une absence de règle ? C’est donc l’arbitraire d’un instituteur, dans le meilleur des cas, ou plus sûrement, un journaliste ou un publicitaire qui dicte la prononciation convenable.

 

folon-italiques

Autrefois, on disait de quelqu’un qui s’exprimait bien, qu’il parlait comme un livre. C’est que, le français a ceci de particulier que les niveaux de langue sont très distincts et peuvent même donner l’impression qu’il existe deux langues différentes. On peut regretter cette discrépance car elle reflète souvent une distinction sociale marquée. Quoi qu’il en soit, il est bien évident, quand on parcours les livres parus depuis, disons, une vingtaine d’années, que la langue écrite telle que publiée par les maisons d’éditions ne constitue plus une référence. Le Monde, autrefois journal de référence, ne remplit plus ce rôle depuis longtemps et l’expression est à l’avenant. M. Jean-François Khan excelle dans les phrases sans verbe, sans doute parce qu’il écrit comme il pense et veut ménager des effet. Dès lors, son hebdomadaire, Marianne, était truffé de phrases sans verbes et il fallait relire plusieurs fois un paragraphe pour comprendre qui faisait quoi et ce que son rédacteur voulait dire. La littérature n’est pas en reste. Un Philippe Djian ne manque jamais de dire qu’il ne faut pas employer le point-virgule, faute d’en comprendre l’utilité. Plus de trente ans (décidément) après ses premiers succès, il en rajoute et prétend à présent qu’on ne devrait même pas avoir besoin de la ponctuation.

Prenons un livre d’un chanteur actuel qui a décidé de passer à l’écriture. Dans son excellente émission sur Europe 1, M. Philippe Vandel passe du temps à expliquer qu’il y a des souvenirs et de la fiction romancée dans son livre, comme si ça n’était pas le cas de tout roman. On donne l’impression qu’il vient d’inventer un nouveau genre. Il est vrai qu’il n’a sans doute pas lu beaucoup de livres. Passons, puisque ce n’est pas notre propos. Ensuite, M. Vandel commente : « parfois, c’est brut de décoffrage ». Enfin, il cite deux critiques. « L’Humanité écrit : « Une écriture irrévérencieuse, ourlée de délicatesse » et pour Le Figaro : « La plume est orale, émotive, invective. » ».

En clair, ça veut dire que le mec écrit comme il cause et qu’il cause plutôt mal mais qu’il est plein de bonnes intentions alors on oublie la forme pour ne garder que la bien pensance : des bons sentiments et des critiques de la société. Donc, c’est forcément génial. Défense d’en douter !

Comme le gars est déjà connu, il a trouvé facilement un éditeur parisien, sinon on n’aurait jamais entendu parler de ses histoires d’ado. Il y a un peu plus de 30 ans, un autre chanteur avait publié ses souvenirs d’enfant de l’Assistance Publique. Quelqu’un avait mis tout ça en ordre et en forme et, sans prétention, ça plaisait aux ados auxquels ce livre était destiné. Les adolescents adorent les livres de témoignage. Ils n’accordent aucune importance au style quand ce n’est pas une lecture obligatoire pour leur cursus. Maintenant, ces livres de témoignage prétendent au statut de littérature et ce qui est n’est qu’une absence de talent littéraire est présenté comme un style. Autrement dit, il n’y a pas de modèle littéraire ni de simple modèle d’expression correcte à proposer aux élèves. On écrit comme c’est-y qu’on cause. À quand des copiés-collés de textos ? Si ça se trouve, ça a déjà été fait : brut de décoffrage, comme dirait l’autre !

 

Au terme de cet exposé, nous voyons donc qu’il y a une conjonction de plusieurs facteurs qui contribuent à l’appauvrissement (dans un premier temps) de la langue française puis à son élimination progressive. D’abord, ceux qui sont censés l’enseigner semblent honteux de le faire et multiplient les dénigrements comme pour se faire pardonner de devoir être aussi directifs. À moins qu’il ne s’agisse d’un refus d’assumer le rôle d’adulte avec ce que cela comporte d’autorité et de transmission à « l’élève au centre du système ». Cela fait une bonne trentaine d’années que le corps enseignant se repaît de formules pompeuses et vides de sens. C’est sûrement une coïncidence si ce laps de temps correspond aussi à la chute du système éducatif français dans les classements internationaux, à l’augmentation de l’échec scolaire et de l’exclusion qui en découle. Ensuite, les institutions ne se préoccupent absolument pas de « la langue de la République » et l’abandonnent en rase campagne. Il n’existe plus de référentiel. La littérature classique est peu à peu écartée. Elle serait soi-disant trop compliquée pour les jeunes d’aujourd’hui. Ça revient à dire qu’on les prend pour des imbéciles de la part de ceux qui prétendent les défendre. La droite, revendiquant haut et fort « l’identité française » brandit la langue comme un étendard ou une banderole contre ses adversaires mais, au quotidien, dans les entreprises, elle bat en brèches la langue française. La gauche associe la langue à la classe dominante et, dans un élan victimaire, la rend responsable de l’exclusion. Rappelons juste que ce sont des enseignants de gauche au Ministère depuis une cinquantaine d’années, et un Ministre de l’Éducation Nationale socialiste (ou du moins membre du PS), qui ont fait table rase de toutes les méthodes d’apprentissage – et notamment de la lecture – qui fonctionnaient et faisaient du système éducatif français un des plus performants. On a multiplié les expériences pédagogiques catastrophiques afin de caser nombre d’entre eux, inaptes face aux élèves. Le résultat est un échec scolaire patent et reconnu qui dépasse les conséquences de la sélection en terme d’exclusion. La sélection était le point faible du système éducatif français. aujourd’hui, c’est cette sorte de fabrique de la bêtise qui produit l’exclusion. La solution qu’on a trouvé récemment consiste à gommer tout ce qui met en évidence l’échec scolaire en promouvant ceux qui ont du bagout.

Enfin, dans un contexte hostile à l’État, la langue de la République est perçue comme appartenant à « l’ancien monde », celui où l’État était fort et avait les moyens de défendre (au moins formellement) les plus vulnérables

https://www.20minutes.fr/societe/2534763-20190606-jeune-francais-dix-difficulte-lecture-20-illettre

1984

Il n’est pas question ici de défendre un élitisme langagier ni de se moquer d’erreurs humaines. Bien sûr, on aura soin de ne pas confondre les lapsus et mêmes les bafouillages, toujours possibles, avec ces ânonnements pluri-quotidiens. Simplement, il est important de rappeler que la langue, si elle est un outil de communication parmi d’autres (et il n’en manque pas de nos jours), est aussi le moyen de construire une réflexion puis de la formuler. Nous citons souvent Orwell ici car, dans son roman d’anticipation que tout le monde cite sans visiblement l’avoir lu, le système totalitaire décrit, outre qu’il s’évertue à falsifier les faits, à surveiller tout le monde, à encourager la délation, consacre des moyens considérables à réduire le vocabulaire afin de priver les individus de toute possibilité de réfléchir et, donc, de contester.

https://www.developpez.com/actu/214456/Les-cameras-de-reconnaissance-faciale-outils-de-securite-ou-d-espionnage-de-masse-La-Chine-et-d-autres-pays-adoptent-de-plus-en-plus-ces-outils/

 

Nous avons commencé ce blog par un exposé destiné à montrer que l’expression est un moyen d’exclusion. À l’époque, nous pouvions titrer EXPRESSION ET EXCLUSION et sous-titrer : danger de mots puis Toujours en danger de mots

13 ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée et la manipulation du sens des mots est de plus en plus efficace à mesure que les élèves ne maîtrisent ni l’orthographe (l’organisation des mots dans la phrase), ni la phonétique, ni le vocabulaire et qu’ils sont encouragés dans ce sens. On comprend pourquoi, d’autant que les élèves entrent dans la vie active un jour.

 

Prisonnier en 1940, André Malraux rapporte de cette expérience : « Écrire était alors le seul moyen de continuer à vivre. » in Lazare.

 

 

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Commentaires
J
Exact. On nomme autrement ce qui pose problème, une manière de donner à croire que le problème est pris en compte, sans pour autant se donner les moyens de le résoudre. Les "personnes de couleur", celle "présentant un handicap", "la diversité", le "vivre-ensemble", les "communautés", appellations nées dans le genre de bureaux où se tiennent les réunions, notre sport national, technique consistant à entretenir un problème qu'on n'a pas envie, ou les moyens de résoudre, à le cultiver comme on arrose un géranium, en voulant donner l'impression qu'il est pris en compte par des gens compétents. On se met autour d'une table et on en parle. On ne fait que ça, et pendant qu'on en parle on a l'illusion d'agir, et après en avoir parlé on a le sentiment d'avoir agi. Nous excellons, en France, dans cette culture du dire qui se substitue à l'incapacité du faire. Et quand il arrive que quelqu'un fasse pour de bon, réalise quelque chose dont les autres n'ont fait que parler, on va le montrer du doigt, le vilipender comme un sacrilège. Faire plutôt que dire, ou pire, dire après avoir fait, tient de l'hérésie au pays où le dire est là pour se substituer à l'incapacité du faire. <br /> <br /> <br /> <br /> L'écriture inclusive fait partie de ces lubies féministes vouées à l'oubli d'ici la prochaine vessie à faire prendre pour une lanterne. A la fois on prétend ainsi créer l'illusion d'une égalité entre les femmes et les hommes - qui dans les faits est une vue de l'esprit -, et reconnaître l'existence de genres alternatifs dont les personnes qui s'en réclament n'en échapperont pas moins aux discriminations, voire aux persécutions dont elles font l'objet - hors évidemment des milieux très privilégiés et clos où ces personnes peuvent s'épanouir dans leurs différences exprimées, vécues et revendiquées sans prendre beaucoup de risques. <br /> <br /> <br /> <br /> Le dialecte à la Jean-Claude Van Damme et autres anglicismes qui nous viennent de la Toile, répercutés par les téléréalités mettant en scène des jeunes décérébrés recrutés dans des quartiers où en vertu, certainement, d'un processus inconscient tenant du machisme, les voitures sont trans-sexualisées. Où on rêve de se payer un BM, un Merco, un Peugeot quand on a moins d'ambition, où l'on s'exprime dans un verlan recomposé au gré des saisons, où les néologismes surgissent au fil ininterrompu de l'actualité, où les hyperboles s'entrechoquent, tout est trop, super, hyper, au top, au taquet, et comme dans l'argot de naguère où selon le contexte les mots pouvaient recouvrir un sens autre (le costard en planches désignant un cercueil, le crâne en peau de fesse pour décrire un chauve, le coiffeur rebaptisé le merlan, la limace qui est une chemise, la meule une mobylette...), on va assigner un sens subjectif à des termes souvent inattendus. On délire, on mythonne (fabuler et non cuisiner !), on ponctue ses phrases de "sa mère" et de "sa race" comme le Sudiste les ponctue de "cong!". Ainsi vit et évolue une langue, ainsi se l'approprie-t-on selon les sphères où on évolue. Car ce parler-là, qui est celui de la rue et des chemins, ressortit d'un univers parallèle au regard du parler du monde des affaires où, entre deux anglicismes bien sentis (ce qui ne veut pas dire bien compris), on ira de son organigramme, de son prévisionnel, de ses projets, de sa prospective, de sa synergie, de son cœur de métier, histoire de passer pour le bon technocrate dynamique, efficace et au fait des enjeux de la mondialisation et des attentes des marchés. <br /> <br /> <br /> <br /> C'est la tour de Babel version 2.0, où chacun jargonne avec qui est en mesure de le comprendre. Ce sont des univers parallèles qui cohabitent, chacun détenant ses codes et ses vérités. C'est d'autant plus stupéfiant que le maître-mot de ce siècle est "communication". Sur un mode autistique, alors, où nul n'écoute ce que l'autre a à dire, qui est relativisé par une parole devenue si omniprésente qu'elle compose un fond sonore où les mots ne peuvent plus que sonner creux, où ils n'ont plus une once de signification. Ce que je dis sera oublié sitôt que j'aurai fini de le dire.
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L
Bien sûr, j’avais en tête, en écrivant cet article, ce texte de Léo Ferré que j’avais présenté sur ma liste à l’épreuve orale de français du bac. C’était un temps où les candidats devaient constituer eux-mêmes une liste. Quasiment tous en piochaient 20 parmi les textes étudiés dans l’année. « Moi, moi qui étais le plus prétentieux », moi, j’avais présenté nombre de textes étudiés en seconde avec Jean-Marie Floch. Monsieur Vincent, notre professeur, nous faisait confiance et signait même des listes blanches. Heureuse époque où une certaine complicité pouvait s’établir entre le sachant et l’apprenant ; pour reprendre des termes pompeux dénoncés par Léo. « On ne prend les mots qu'avec des gants ». Ça a commencé avec le « politiquement correct » venu d’outre Atlantique où, plutôt que de chercher à améliorer le sort des minorités et des minoritaires, on a préféré les appeler autrement. Beaucoup sont tombés dans le panneau et se croient sortis des difficultés depuis qu’ils sont affublés d’une formule compliquée plutôt qu’un mot simple. Le terrain était favorable, bien entendu, et ces travestissements de l’expression répondent à un besoin. Les guillemets mimées ou écrites constituent une étape de plus franchie allègrement. On n’y comprend plus rien car on ne sait plus si l’on parle d’une réalité ou si on l’édulcore pour ne pas faire de peine à ses victimes.<br /> <br /> <br /> <br /> Les mots anglais ou rappelant l’anglais sont une plaie. Avant de découvrir ta réponse, cher Jérémy, je pensais l’autre matin au mot « challenge », prononcé vaguement en anglais [tchallennge] pour remplacer « défi ». Là, ce n’est pas parce que le mot est plus court en anglais mais parce qu’il sonne mieux et accentue le défi à relever. Nul doute que si les Français avaient employé « challenge » (mot français synonyme de défi) plus couramment que « défi », on aurait alors trouvé un mot anglais pour le substituer et peu aurait importé qu’il veuille dire « défi ». Il n’est que de voir l’apparition ces tout derniers mois du néologisme franco-anglais « spoiler », prononcé [spoyilé] pour en avoir la preuve. En anglais « spoiler » veut dire simplement « gâter » dans tous les sens du français (abîmer ou choyer) mais en français, il veut dire divulguer une information au risque de gâcher l’effet de surprise. Certains proposent de remplacer l’horrible « spoiler » par « digulgâcher ». On entend de plus en plus « définitivement » qui est une mauvaise traduction de l’anglais « definitely » qui veut dire « absolument » et à ne pas confondre avec « definitively » qui veut dire « définitivement ». Comme toujours, l’emploi de ces mots à consonance anglaise donne l’impression de savoir. « Définiment » n’a plus cours en français sauf pour son contraire, « indéfiniment ». Nul n’a jamais prétendu que le français n’est pas compliqué mais il est bien rare qu’un concept ne soit pas exprimé par un mot de la riche langue française. Tu prends , Jérémy, l’exemple de ce vilain « juste », dont l’abus est un supplice. Là encore, c’est une mauvaise traduction pour exprimer la restriction. Il existe « simplement » en français mais on rétorquera que c’est trop long. À ce compte, il faudrait juste lister les mots des langues les plus employées dans le monde qui font moins de trois syllabes et l’on obtiendrait une sorte de globish ou de volapük que tout le monde comprendrait plus ou moins. Il suffirait de ponctuer de quelques guillemets et le tour serait joué. On devrait voir apparaître de nouveaux mots de ce genre à l’avenir ou, comme on dit à présent, « dans le futur ». <br /> <br /> <br /> <br /> Ainsi, assiste-t-on à un double phénomène : d’une part un appauvrissement du vocabulaire et d’autre part, un enrichissement en remplaçant des mots simples par leurs définitions aseptisées. On ne doit plus dire « handicapé » mais « personne en situation de handicap ». Ça coûte moins cher que de mettre aux normes tous les équipements publics. En 2015, la France avait été épinglée pour n’avoir quasiment rien fait et avait obtenu un nouveau délai. Qui peut dire qu’il a été mis à profit ?<br /> <br /> Juste pour le plaisir et parce qu’on va avoir bientôt, avec le début de la Coupe du Monde de rugby, un festival de « timing ». Ce mot, peut employé en anglais, a remplacé dans la langue française des mots aussi différents que : calendrier, temps, délai, horaire, échéance, rythme, précision et encore d’autres. Le comble me paraît avoir été atteint quand un interprète a traduit le mot anglais « schedule » par « timing » en français. « Schedule » veut dire « emploi du temps ». Ça me rappelle aussi, ces commentateurs sportifs qui répètent à l’envi : « il a littéralement crucifié le gardien de but » ? Ignorance des notions de sens propre et sens figuré qui accentuent les embrouilles déjà évoquées.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour finir, une information entendue l’autre soir. Les livres des fameuses Bibliothèque rose et verte ont été réécrits. On a simplifié les phrases au maximum et proscrit le passé-simple. Bon, ça, c’est pas forcément un mal mais tout est écrit au présent. J’adorais lire les aventures de Fantomette mais il ne me semblait pas que c’était compliqué. En fait, on anticipe sur une hypothétique incompréhension de la part des enfants. Autrement dit, on a parfaitement compris que l’apprentissage de la lecture ne permet plus, depuis quelques années, la compréhension des écrits les plus simples. Ça fait partie de ces choses que tout le monde sait, que tout le monde a assimilé mais qu’on ne peut dire publiquement. Que les éditions Hachette aient investi dans la réécriture de leurs succès pourtant jamais démentis depuis des dizaines d’années devrait faire réfléchir en haut lieu. Le problème, c’est que les décideurs sont incapables de faire le lien entre des éléments car ils ne s’occupent jamais que d’un segment. <br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, toujours dans la série je-change-le-nom-parce-que-ça-coûte-moins-cher-que-d’améliorer-la-situation, les Français sont les seuls à avoir inventé une orthographe détachée des mots pour faire croire qu’on s’intéresse au genre féminin. On appelle ça « l’écriture inclusive » et ça présente l’énorme avantage de n’être pas le fait d’un homme, Blanc, hétéronormé ou, comme on dit aujourd’hui, cis-genré, mais de femmes, Blanches (quand même) et d’un niveau d’étude supérieur. En d’autres termes, ce sont des femmes qui maîtrisent parfaitement l’orthographe au départ et n’ont donc aucun problème à en rajouter. Elles exercent des professions dans des corps de métiers où il n’y a pas de discrimination salariale et, par conséquent, elles ne sont pas confrontées à la première cause de vexation et d’oppression. Elles ont accès à la santé, à la planification familiale et aussi à la prise de parole. Elles peuvent se consacrer à l’expression mais n’imaginent même pas qu’on puisse éprouver une difficulté supplémentaire avec ces sur-ajouts. Il faut dire aussi que la plupart appartiennent à cette catégorie de la population, persuadée contre toute évidence, que les méthodes d’apprentissage scolaires sont formidables et que « l’écriture inclusive » est un plus qui valorisera la réussite de l’élève. <br /> <br /> <br /> <br /> Il ne faut pas oublier que mon propos vise à montrer que, malgré les apparences, toutes ces évolutions (pour employer un euphémisme) aboutissent à la mise à l’écart de pans entiers de la population et contribue à l’exclusion. Les faits sont là.
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J
Appauvrissement de la langue, errements langagiers, dilution du parler médiatisé dans un fond sonore routinier, pris dans un rapport au temps imparti qui porte à généraliser la précipitation. Tout doit être vite fait et pour cela, simplifié dans le dire, schématisé, entrecoupé de locutions aussi convenues qu'elles sont dépourvues de sens. Des "Tout à fait", des "C'est pas évident", des "C'est pas faux", et d'anglicismes genrés dont j'ai noté l'apparition récente "C'est juste passionnant/intéressant/inquiétant/trop beau/trop moche....", familiers aux femmes comme l'est de longue date ce "euh" qui s'attarde en une espèce de modulation à la fin de certains participes passés et même d'un simple "bonjoureuh", lequel bonjour va souvent être précédé d'un "hé", le "bonjour" lui succédant étant prononcé avec l'arrière-gorge, avec là encore une curieuse modulation de la voix. <br /> <br /> De tels stéréotypes ont sans doute toujours existé dans le parler comme dans la gestuelle qui accompagne le parler. Les guillemets que l'on mime, les doigts qui se croisent et se décroisent, les mains qui ponctuent le propos, qui, les paumes vers le bas, veulent le tempérer, les longues pauses cigarette de naguère, ou au contraire cette façon nerveuse de tirer sur sa clope et de s'environner de fumée, qui ponctuaient les dires qui se voulaient imprégnés d'intellectualisme lorsque l'intellectualisme était un marqueur social valorisant qui permettait de se distinguer du "nature-peinture" attribué aux classes laborieuses. Je me souviens de ces phrases hachées de fumée, ponctuées de bruits de succion, qui commençaient invariablement pas "Au départ, bon...", et qui parlaient de chose "qui interpellent" en empruntant au jargon psy alors en vigueur. On avait l'air intelligent sans vraiment dire grand chose. <br /> <br /> <br /> <br /> L'art de la conversation se joue quant à lui du temps imparti et de la locution passe-partout. C'est une pratique (une praxis diraient les cuistres) de la convivialité ( du "bien-vivre-ensemble", diraient les parleurs bon teint). C'est un art de l'échange qui tend à se perdre comme la poésie s'est perdue dans la prose logorrhéique nombrillicentrée. <br /> <br /> <br /> <br /> Mais voilà que je donne moi aussi dans le néologisme ! Je vais m'en tenir là de ce commentaire, et renvoyer tes lecteurs à ce texte de Léo, là encore anticipatoire :<br /> <br /> <br /> <br /> https://youtu.be/fpctccGpyqE<br /> <br /> <br /> <br /> En voici la version intégrale, datée de 1956 : <br /> <br /> <br /> <br /> http://www.deljehier.levillage.org/textes/Ferre/preface.htm<br /> <br /> <br /> <br /> En prime (en bonus, dirait-on dans le parler contemporain), une partie de Pipotron saura assigner un non-sens aux propos de ceux qui n'ont rien à dire mais qui ne se privent pas de nous en accabler : http://www.lepipotron.com/
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la lanterne de diogène
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